(1969)
Alors là franchement, je dis amen !
Seigneur, délivrez-nous de ces filles sans fesses
qui regardent les nôtres avec réprobation.
Seigneur, délivrez-nous de ces tristes drôlesses,
ou donnez-nous au moins quelques compensations.
Faites qu’autour de la table on leur réserve le banc:
c’est assez confortable sans un certain répondant;
et faites que la salade, la tomate et le citron
rendent beaucoup plus malade qu’un modeste miroton;
et dans votre bonté, faites aussi que le thé
donne plein de calories, Vierge Marie.
Faites que dans les boutiques on regarde de travers
leurs silhouettes étiques nager dans les pull-overs;
qu’essayant la plus banale des robes, on leur dise un peu:
« On fait les tailles normales » sur un ton très dédaigneux;
et dans votre justice, faites que dans leur 36
on les prenne pour des salsifis, ô Sainte Sophie.
Faites que tous ces jeunes hommes, les invitant à dîner,
cessent un peu d’être économes et veuillent imaginer
qu’en ouvrant les bras plus large, ils y gagneraient un peu:
– les filles avec une marge, ça fait beaucoup moins de bleus –
et faites qu’une fois, privés de contrepoids,
ils se foutent la gueule par terre, ô grand Saint-Pierre.
Faites que les magazines payent le papier moins cher,
– c’est pour cela, j’imagine, qu’on voit été comme hiver,
rangés à douze par page des sardines très mini,
des haricots sur la plage ou d’élégants spaghettis –
et que les photographes, dégoûtés des girafes,
découvrent les trois dimensions, Saint Timoléon.
Seigneur, gardez-vous bien de leur donner des fesses:
nous porterons les nôtres avec sérénité.
Seigneur, ne croyez pas surtout que ça nous blesse:
abondance de biens n’a jamais rien gâté.