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"Le Londres-Louxor", de Jakuta Alikavazovic

43 ans 88
On connaît pourtant les théâtres d'ombres et les lanternes magiques. En littérature, les personnages sont des êtres de papier et de pensée. Au cinéma, de lumière et d'ombre. L'illusion est  
sans illusion, rien ne saurait nous surprendre - à l'exception du second roman de Jakuta Alikavazovic, long poème romanesque aux formes et aux couleurs indécises, et pourtant précises. On le lit comme on joue à ne pas attraper la fumée qui se dérobe à notre main tendue. Au beau milieu d'une colonie de spectres, en équilibre sur le fil frontière du visible et de l'invisible.

Un cinéma, deux soeurs. L'une est introuvable, l'autre travaille à paraître. On pense à un film d'Alfred Hitchcock, ce qui tombe bien : dès la première scène, la cadette, Esme, surgit, teinte en blonde, silencieuse et raide. Plus tard, la référence est confirmée : "Elle ressemblait aux hitchcockiennes à mi-parcours (quand la panique commence à les gagner)." Prête-nom d'un écrivain d'âge mûr, la "jeune fille spectrale" est à la recherche de sa soeur aînée, Ariana, disparue sans laisser de traces.

Jakuta Alikavazovic, née en 1979, Prix Goncourt du premier roman en 2008 pour le beau Corps volatils (L'Olivier, 2007), prend le prétexte de l'intrigue la plus simple - une femme disparaît - pour un texte libéré, subtil, aux émotions raffinées. Deux personnages complètent le carré romanesque : l'amant d'Esme, l'horripilant Anton (un critique littéraire), et un cinéma qui ne projette plus de films, le Londres-Louxor, centre de gravité et scène de crime.

Devenu le quartier général de la diaspora bosniaque de Paris, dont les deux soeurs font partie, le Londres-Louxor est un bâtiment classique du renouveau égyptien fin XIXe, début XXe. Le premier plan du livre en est d'ailleurs le commentaire historique et architectural, voire mythologique, mélange à doses égales de réel et d'imaginaire, à l'image du livre à venir. Un programme, en quelque sorte. Comme un avertissement, mais de même nature que ceux que l'on trouve à l'entrée des tombeaux et des nécropoles....
B I U