Ce matin je suis tombé sur un article dans le monde traitant de ce sujet, si ca vous intéresse, je vous met l'article ici :
Encore quatre petits
kilos à perdre et Laurent Ournac aura retrouvé son poids "normal" : 117 kg. Pour le héros cathodique de l'été, le plus dur est fait. "Je suis redescendu à 121 kg, alors que j'ai été à 135 pendant le tournage", se félicite-t-il, dans une brasserie chic de Paris. Laurent Ournac est ce comédien de 25 ans qui a incarné le rôle-titre de "Mon incroyable fiancé", une émission de télé-réalité sur TF1. Diffusée en deuxième partie de soirée, cette adaptation d'une émission américaine a atteint des taux d'audience inespérés : 6 millions de téléspectateurs en moyenne.
Mi-jeu, mi-fiction, le "divertissement" reposait sur un scénario a priori saugrenu : Adeline, une jeune femme svelte de 24 ans, devait faire accepter par ses proches son "faux" fiancé en faisant croire qu'elle voulait se marier avec lui. Adeline espérait de TF1 une sorte de prince charmant. Surprise : ce fut Laurent Fortin (alias Laurent Ournac), un être "lourd, odieux, vulgaire, affreux" dixit la publicité de l'émission et par surcroît prolifique en éructations et gaz de toutes sortes. L'ingénue Adeline, qui ignora tout du long que Laurent était comédien, réussira malgré tout à convaincre ses parents d'accepter le mariage avec le prétendant. Elle empochera pour cela 200 000 euros.
Malgré son succès, l'émission n'a pas été du goût de tout le monde, notamment des gros de France et de Navarre. Allegro Fortissimo, qui est la plus importante association d'obèses du pays, avec près de 500 adhérents revendiqués, a écrit au Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA). Elle dénonce un programme qui a fait "l'amalgame entre obésité, vulgarité, grossièreté, saleté. (...) Les producteurs ont évité de choisir un fiancé pour lequel d'autres associations auraient pu porter plainte". Pour racisme, par exemple. Le CSA a décidé d'ouvrir une "instruction".
Laurent Ournac en hausse les épaules de dépit. Oui, l'acteur reconnaît en avoir fait des tonnes pendant l'enregistrement. Oui, il a dû prendre 18 kg en dix semaines pour avoir le rôle, la production le trouvant "trop léger" lors du casting. Mais le gaillard conteste fermement avoir participé à une campagne de "racisme anti-gros" . Lui préfère retenir "la vraie morale qui s'est dégagée à la fin de l'émission", à savoir que les parents d'Adeline ont dû vaincre leurs préjugés pour accepter le mariage de leur fille avec ce véritable Shrek qu'il incarnait. Cela posé, Laurent Ournac en convient : si un comédien noir, plutôt que gros, avait été embauché pour le rôle, "on serait allé au scandale. Alors qu'avec un gros"... Ça passe.
"Mon incroyable fiancé" a aussi montré que, au moment où ils n'ont jamais été aussi nombreux en France, il est désormais possible de railler les obèses. D'après les derniers chiffres de l'Insee, en juin, l'obésité touche désormais 10,1 % des hommes, 10,5 % des femmes et 12 % des moins de 18 ans. Paradoxe, la loi du nombre ne semble pas empêcher la stigmatisation. On a même plutôt l'impression du contraire.
"Cette stigmatisation prend des proportions inouïes", estime le psychiatre Gérard Apfeldorfer, créateur, en 1998, du Groupe de réflexion sur l'obésité et le surpoids (GROS). Pour lui, le succès de l'émission n'a pas été une surprise, mais un signe supplémentaire de la recrudescence de ce qu'on appelle la "grossophobie". Phénomène propre aux cultures occidentales, selon lui. "L'obèse est devenu le bouc émissaire de la société de consommation. Comme nous sommes honteux de consommer l'essentiel des ressources de la planète, nous reportons cette honte sur celui qui incarne le mieux ce 'péché', c'est-à-dire l'obèse, le super-consommateur."
Pour avoir une idée des discriminations dont sont victimes les personnes rondes, rien de tel qu'un petit surf sur Internet. Les sites des associations d'obèses regorgent de témoignages anonymes, tous plus douloureux les uns que les autres. La majorité relate des expériences malheureuses avec le corps médical. Comme ces femmes qui se sont entendu dire qu'on ne fait pas d'enfant quand on est "si grosse". Il y a aussi celles qui sortent des consultations avec des régimes non demandés. Et puis, il y a cette dame dont on a refusé le sang lors d'une collecte parce qu'on craignait qu'il soit "empoisonné" au diabète...
Ailleurs, il est question de l'angoisse qui saisit tout obèse dès qu'il doit prendre le métro. De la difficulté à trouver une robe de mariée quand on pèse 100 kg. Des primes d'assurance-vie qui s'envolent. On imagine mal la somme de problèmes rencontrés par les gros dans leur vie de tous les jours. Jusque dans la mort parfois. Comme cet homme de 170 kg qui a dû récemment être "inhumé contre sa volonté" car "aucun crématorium de la région parisienne n'avait de four assez grand pour son cercueil hors normes".
Donner une réalité statistique à la "grossophobie" n'est pas simple. Aux Etats-Unis, de nombreuses enquêtes ont montré que les obèses ont "un taux d'accès à l'enseignement supérieur plus faible", qu'"ils trouvent plus difficilement un emploi" ou que "leur niveau de revenus est significativement plus bas", comme le rappelle l'anthropologue-sociologue Jean-Pierre Poulain dans son ouvrage le plus récent (Sociologies de l'alimentation, PUF, 2002). En France, les travaux sont encore rares.
Début 2005, l'Observatoire des discriminations a intégré un comédien obèse à un test aveugle consistant à présenter de faux demandeurs d'emploi à de vraies offres professionnelles. Six candidats à l'embauche représentant chacun un profil différent un homme blanc, un homme noir, une femme maghrébine, un handicapé, un homme âgé, un obèse ont répondu à 325 offres d'emploi pour des postes de niveau bac + 2. Résultat : l'acteur dont la surcharge était apparente sur la photo de son CV a obtenu "entre deux et trois fois moins de réponses positives en vue d'un entretien que le candidat [blanc] de référence pour un poste de commercial", indique Jean-François Amadieu, le directeur de l'Observatoire. Pour des postes de télévendeurs – donc sans contacts directs avec la clientèle –, l'écart est moindre, mais reste élevé.
Mais ces discriminations au travail sont également palpables en matière de promotion professionnelle. "Tant que vous êtes au bas de l'échelle dans une entreprise, on se fiche pas mal de savoir si vous êtes gros. Mais si vous voulez devenir cadre, ce n'est plus pareil. Vous représentez alors l'image de la boîte. Et là, pas question d'être obèse", déplore Béatrix de Lambertye, qui n'a pas pu obtenir, dans le secteur de l'export où elle était employée, les responsabilités auxquelles ses diplômes d'études supérieures lui permettaient de postuler.
"Les préjugés sont terribles, poursuit cette femme de forte corpulence. Dans l'esprit des gens, les gros sont forcément paresseux, sales, grossiers, stupides. S'ils sont gros, c'est évidemment de leur faute." Or "tout le monde oublie de dire que les régimes sont des échecs dans 95 % des cas, souligne Catherine Lemoine, la présidente de Pulpclub, un magazine en ligne consacré aux personnes enrobées. Dans l'inconscient collectif, le gros reste fautif. Il n'est pas comme le Noir qui est né comme ça et qui ne peut pas changer. Le gros, lui, peut modifier son apparence".
A en croire les associations d'obèses, si un véritable "climat anti-gros" s'est installé en France, celui-ci a été alimenté par les différentes campagnes de prévention contre le surpoids. "On a parfois le sentiment que la lutte contre l'obésité tourne à la lutte contre les obèses", s'inquiète Viviane Gacquière, la présidente d'Allegro Fortissimo. Qu'il s'agisse du Programme national nutrition-santé (PNNS) lancé en 2001 par le ministère de la santé, des cris d'alarme des associations de spécialistes (pédiatres, cardiologues) ou encore des programmes nutritifs imaginés par certains géants de l'agroalimentaire, l'obèse est souvent perçu comme le dernier des pestiférés.
Les projections épidémiologiques, c'est vrai, sont plutôt alarmantes. La prévalence de l'obésité chez l'enfant double ainsi tous les quinze ans. A ce rythme, la France aura rejoint vers 2020 le taux d'obésité infantile des Etats-Unis. Partant de là, quel discours tenir ? Comment dire "mangez mieux" sans crier "haro sur les gros" ? "Le problème est que le grand discours nutritionnel d'aujourd'hui ne fait que paniquer les mangeurs, relève le docteur Apfeldorfer. On leur explique comment manger sur un mode cartésien, sans tenir compte des sensations que procurent les aliments. Une pizza n'est plus une portion d'Italie, mais une couche d'acides gras agrémentée de morceaux de protides. Résultat : les mangeurs sont angoissés en mangeant. Ce qui a pour effet de les faire grossir."
C'est encore à la télévision que la stigmatisation est la plus visible. Certaines publicités n'y vont pas avec le dos de la cuillère, comme celle de Flunch où des super-héros ne sont plus bons à rien parce qu'ils ont pris du poids. Mais c'est aussi à la télévision que le "morphologiquement correct" est battu en brèche avec le plus d'intensité. Plusieurs animateurs de forte corpulence sont ainsi devenus, ces dernières années, des personnages familiers du petit écran : Guy Carlier sur France 3, Laurence Boccolini sur TF1, Marianne James sur M6. Tous ont été recrutés pour leurs qualités professionnelles, aucun n'incarnant le "joufflu de service", qu'il n'est pourtant pas rare de trouver sur certains plateaux.
La dernière venue s'appelle Magalie. Cette lycéenne de 18 ans fait partie de la nouvelle promotion de la "Star Academy" (TF1). Elle aussi a été sélectionnée pour son talent – certains font d'elle la favorite – et non pour ses kilos, que la production de l'émission trouve quand même un peu "superflus". Passons. "Enfin on montre les gros à la télé !, s'enthousiasme Laurent "l'incroyable fiancé". Jusque-là, on ne les voyait que pour animer des émissions de cuisine, comme Maïté ou Jean-Pierre Coffe. C'est le début d'une nouvelle ère."
A la télévision, toujours, peut-être verra-t-on un jour un film sobrement intitulé Gros. Il est pour l'heure à l'état de scénario. Son auteur s'appelle Jean-Jacques Jauffret. Scénariste-réalisateur, cet homme a été, en août, la victime d'un épisode ubuesque. M. Jauffret s'en revenait de vacances en Inde. Apprenant que son vol de retour était complet, quelle ne fut pas sa surprise de voir un employé d'Air France lui mesurer d'autorité l'abdomen avec une bande adhésive ! L'intéressé put finalement regagner Paris, mais il dut s'acquitter d'un deuxième billet sur lequel quelqu'un avait pris soin d'inscrire son tour de taille (172 cm) et son poids estimé à la louche (180 kg). La chose ne manqua pas de sel puisque M. Jauffret ignore lui-même combien il pèse. Sa balance personnelle ne dépasse pas les 160 kg. Quand il a besoin de mesurer ses fluctuations pondérales, il se rend sur le pèse-bagage de la Sernam, à la gare de l'Est.
S'il n'avait pas déjà bouclé son scénario, cette scène de l'aéroport de New Delhi aurait mérité d'y figurer. Qu'importe. D'autres y seront. Comme la fois où il s'est retrouvé bloqué dans le sas d'une banque, le mécanisme d'entrée étant réglé sur 150 kg pour empêcher que deux personnes puissent y entrer en même temps. Son scénario raconte l'histoire "d'un obèse qui vit dans la culpabilité après avoir perdu son boulot pour des raisons de santé et qui, en même temps, tombe amoureux d'une femme normale". Confronté aux regards des autres, le personnage est aux antipodes du gros un peu lourdingue mais tellement "sympa" qui traverse les fictions de grande audience.
"Ce n'est pas parce qu'on est gros qu'on doit être sympathique. Je réclame le droit de ne pas être drôle, mais d'avoir des angoisses, d'être stressé, de pousser des colères..., s'emporte le scénariste. Il y en a marre du 'tout le monde pareil'. Accepter les différences, ce n'est pas essayer de les réduire."
Un message que M. Jauffret n'a pas eu besoin de répéter lors de ses vacances en Inde. Là-bas, les gens ne l'ont ni insulté ni moqué. Au contraire, ils sont souvent venus caresser ce ventre hors norme, symbole de chance et de prospérité.
Si vous voulez le lien :
http://www.lemonde.fr/...230,36-692877@51-633431,0.html