Poupee_Russe a écrit:- Parler de choix en ce qui concerne la personne prostituée est pour moi un contresens. Pour citer mon film préféré : 'C'est pas à ça qu'on rêve quand on est petite fille'. Aucune personne au monde n'est arrivé à la prostitution dans un parcours classique de choix d'un métier. Ce sont toujours des circonstances particulières, souvent très difficiles qui y amènent. Proposer à un(e) prostitué(e) de gagner la même somme, en autant de temps, en faisant autre chose (n'importe quoi), qui va choisir la prostitution? Et ceci est encore plus vrai pour quelqu'un qui n'est pas encore dans le métier.
Parce qu'en étant petite fille (ou petit garçon : il y a des prostitués hommes, également), on rêve de devenir caissière à mi-temps avec des horaires impossibles ? On rêve de devenir femme de ménage qui commence à 4h tous les matins et se fait snober par les gens qui arrivent le matin pour travailler pendant qu'on est encore là ? On rêve de devenir aide soignante et d'aller torcher les fesses des petits vieux, des malades, et de nettoyer leur vomi ? On rêve de travailler en abattoir et de tirer dans la tête des boeufs pour les tuer ?
Ah, mais j'oubliais : tous ces métiers ne sont pas en lien avec le sexe, ils sont donc bien plus légitimes et moraux que la prostitution, forcément !
Poupee_Russe a écrit:- Ce qui amène mon 2ème point. On parle toujours des prostituées heureuses et fières de l'être. Ce sont toujours elles qu'ont fait témoigner. Ce qui est bien la preuve qu'on peut se prostituer et être heureux(se), non? Ben non, désolée. Pour moi c'est oublier que l'être humain a des capacités de résilience exceptionnelles. Pour moi ça s'apparente presque au syndrome de Stockholm. D'ailleurs, dans tous les témoignages que j'ai lus ou entendus, le même point commun : 'La première fois j'ai pleuré'.
J'en connais beaucoup qui ne m'ont jamais dit avoir pleuré ; en revanche, elles savent qu'elles se font virer des manifestations féministes (parfois avec violence) parce qu'on estime qu'elles "trahissent la cause" et qu'il est très rare qu'on vienne leur demander leur avis quand on prépare un papier sur la prostitution : c'est plus vendeur de parler de la pauvre exilée de Roumanie qu'on a mis sur le trottoir de force, plutôt que de parler d'une jeune femme libre, bien dans sa peau, qui un jour s'est dit que la prostitution lui permettait de bien gagner sa vie sans trop se fatiguer. Et qui, en plus, n'est pas répugnée par le sexe !
Poupee_Russe a écrit:- La prostitution qui ferait 'barrage' au viol. L'autre argument phare en faveur de la prostitution. Mais comme l'ont très bien dit Owlie et d'autres, le viol n'a rien a voir avec un trop-plein de désir. Le viol c'est un acte de haine, de violence, de torture, d'avilissement. Je citerais d'ailleurs le titre très bien choisi je trouve du roman de Stieg Larsson 'Les hommes qui n'aimaient pas les femmes'. Et au contraire, il est de plus en plus communément admis que la prostitution participe à une certaine idée de la femme comme objet sexuel, et de fait augmente les violences sexuelles là où il est librement pratiqué. (J'ajouterais qu'à mon sens, les viols dans les prisons s'apparentent plus à une preuve de domination, un peu comme le combat pour être le loup dominant dans une meute, qu'à une expression de frustration sexuelle).
On ne peut rejeter d'un revers de la main la question de la frustration sexuelle, quand même. Je ne dis pas que tout homme frustré devient une bête en colère : je dis juste qu'un homme frustré aura moins tendance à être lourd ou insistant avec une nana s'il sait qu'il peut aller trouver ce qu'il cherche ailleurs. Je pense notamment aux pratiques hors normes, que beaucoup d'hommes n'osent pas demander à leurs femmes : il y a fort à parier que certains en arriveraient à forcer leurs femmes à faire ce qu'elles ne désirent pas s'ils n'avaient pas cette échappatoire.
En prison, bien sûr qu'on viole pour dominer (d'ailleurs c'est le cas dans le règne animal : regardez des troupeaux de chevaux, par exemple, il n'est pas rare de voir un mâle, pas forcément entier, monter un autre mâle pour lui signifier qu'il lui est inférieur), mais nier le fait que les détenus sont frustrés sexuellement et que cela peut parfois les rendre dingues est une erreur. L'absence de relations sexuelles + la promiscuité avec les autres détenus pousse forcément à éprouver du désir pour les autres, et comme on sait qu'il y a peu de chances que le désir soit réciproque, alors ça peut passer par la violence pour assouvir cette pulsion. C'est d'ailleurs exactement le même fonctionnement dans les prisons pour femmes — les femmes n'étant ni mieux, ni pires que leurs homologues masculins : on leur a simplement répété depuis la nuit des temps qu'elles ne devaient pas aimer le sexe, alors qu'au fond, elles aiment ça autant que les hommes.
Poupee_Russe a écrit:- On a aussi beaucoup parlé (notamment Poupoule) de la liberté d'une personne à monnayer ses services sexuels. Pour moi, la question rejoint un peu le débat qu'il y a eu il y a quelques années concernant le lancer de nains. Est-ce que, au nom de la liberté individuelle, on peut tolérer des atteintes à la dignité humaine? Pour moi la réponse est non. Mais j'admets que cette question est un débat à elle seule et je serais curieuse d'entendre des arguments pour et contre car mon opinion est loin d'être tranchée là-dessus.
Mais la dignité humaine, elle est là où chacun veut bien la voir. Je trouve indignes certains comportements qui sont pourtant tolérés par la société : je ne vais pas aller embêter les personnes en question parce que cela ne cadre pas avec mes propres valeurs.
Ce qui m'agace prodigieusement, c'est qu'on pense pour les autres — et qu'on pense presque systématiquement à la place des femmes. Forcément, ce sont des victimes, elles sont subi des abus sexuels, elles se font violence, etc. Ben, non. Pas toutes.
La majorité, effectivement, est sous la coupe de réseaux mafieux. Mais il faut évidemment lutter, à toute force, contre ces réseaux et contre les trafics d'êtres humains, c'est une évidence ! Néanmoins, ce n'est pas en pénalisant les clients qu'on y arrivera, puisqu'alors on ne fera que repousser les prostitués dans des endroits invisibles aux yeux des autorités : plus fragiles, les prostitués seront encore davantage la proie des proxénètes et mafieux en tous genres. C'est ce qui se passe en Suède, où on prétend que la prostitution a reculé : non, elle s'est davantage cachée et s'est davantage développée aux frontières. Ça n'a strictement rien changé pour les conditions de vie de certains prostitués qui sont effectivement réduits en esclavage.
Maintenant, est-ce légitime de vouloir tout interdire, alors que certains en vivent bien, et ne souhaitent pas changer de métier ? J'en connais plein (pour des raisons personnelles) qui ne veulent pas faire autre chose, qui apprécient leur métier, qui apprécient le contact avec le client, qui aiment faire plaisir. Oui, ça peut sembler aberrant, mais qui est-on pour juger de ce que font les gens ? Qui est-on pour leur dire comment vivre leur sexualité, que faire de leurs journées ?
Chacun est libre de disposer de son corps, et en voulant interdire la prostitution, on empêcherait certaines et certains d'avoir totale jouissance de leur individualité. Je ne peux l'accepter.
Poupee_Russe a écrit:Enfin bon, c'est un vaste débat et il reste beaucoup à dire. Je conclurais juste sur le fait que pour moi, la prostitution c'est un viol monnayé. Dans un cas on utilise la contrainte physique, et dans l'autre l'appât du gain; mais ça reste l'idée d'avoir une relation sexuelle non consentie (ou en tout cas pas pleinement consentie).
Tu as tout faux : une relation tarifée est une relation consentie. Rien à voir avec le viol : le ou la prostitué(e) décide où, quand, comment, avec qui, et combien. Du début à la fin, il/elle est aux commandes et décide. Cela n'a rien à voir avec une relation sexuelle forcée, mais alors vraiment rien.