La mairie de Bordeaux débordée par le racisme
Un placier musulman, lassé par les insultes de ses collègues, porte plainte.
par Laurence ESPIEU
QUOTIDIEN : jeudi 12 janvier 2006
Bordeaux correspondance
C'est un garçon désabusé.
A
35 ans, Omar Djelli était employé à la mairie de Bordeaux, au service des placiers. Il a été recruté en juillet 2005, et en octobre, deux mois avant la fin de son contrat, il présentait sa démission, excédé par des semaines d'insultes et de vexations racistes.
Dans une pochette en kraft, il a rassemblé quelques-uns des documents. Cela commence par un délicat courrier : «Pour une mairie propre. Bye Bye! Des collègues heureux !» Missive anonyme reçue chez lui, au lendemain de son départ, dans une enveloppe à en-tête de la mairie. Avant, il y avait eu les collègues qui refusaient de lui serrer la main, les tranches de porc déposées sur son bureau, et une enveloppe «bon ramadan», avec des photos pornos mettant en scène des femmes voilées.
Désordre. Né en France de parents algériens, Omar est musulman pratiquant, ne l'affiche pas mais ne s'en cache pas. Il porte une barbe courte, un duffle-coat et une écharpe à carreaux.
«Les trois derniers mois ont été un véritable calvaire», affirme-t-il. Le jeune homme porte plainte à trois reprises, mais ne connaît pas les identités des auteurs.
Au bureau, il serre les dents : «J'ai opté pour la désinvolture, sans aucune intention belliqueuse, me référant systématiquement à ma hiérarchie pour dénoncer ces discriminations. J'ai été un bon élève. Mais je n'ai récolté que le silence de l'administration.» Alors aujourd'hui, Omar le militant formé à l'école de SOS Racisme et du MJS tracte devant la mairie et contacte les médias pour raconter son histoire. Et là, ça fait désordre.
«Cette affaire prend une tournure très malsaine», déplore Claude Bocchio, l'adjoint aux ressources humaines.
Le cas d'Omar s'envenime : «Il ne faut pas jeter l'opprobre sur la totalité du personnel pour un cas isolé. Au service des placiers il y a eu des réactions blessées d'agents qui se sont sentis attaqués par ces allégations.» Drôle de façon de condamner ces actes.
Une enquête interne a été diligentée, mais elle n'a débouché sur rien. Et la mairie a porté plainte contre X pour actes racistes. L'administration se retranche donc derrière la justice, lui «laissant le soin» de faire toute la lumière sur l'affaire. Quant au maire, il ne souhaite pas s'exprimer «tant que les faits ne sont pas avérés».
Précédents.
Le problème, c'est que la mairie n'en est pas à sa première affaire du genre. Farid Saadi, 32 ans, d'origine kabyle, travaillant, lui, au service propreté, a aussi subi insultes et menaces. Il a tenu bon, faisant le dos rond face à un «petit chef» qui appelle à «nettoyer les Arabes au lance-flammes», à «les pendre comme des cochons» ou à «rouvrir les camps de concentration».
Plus tard, il découvre des boîtes de cartouches vides dans son casier ou des affiches de Le Pen placardées sur sa voiture.
Après deux ans et demi de dépression, Farid Saadi a obtenu un procès et fait condamner son collègue en 2004.
L'agent raciste a écopé de cinq ans d'emprisonnement avec sursis et de 40 000 euros d'amende.
Mais de la part de son employeur, la mairie, les sanctions sont faibles : un avertissement et une promotion annulée.
«La mairie de Bordeaux ne fait pas d'excès de zèle sur ces questions», reconnaît Jean-Pierre Sanguigne, le délégué CGT, qui ajoute que «ces actes ne sont pourtant pas en régression, et des propos racistes, on en entend tous les jours sur le lieu de travail».
Farid Saadi affirme même qu'à l'époque on aurait tenté de faire pression sur lui, le menaçant d'une mise à pied s'il portait l'affaire en justice. «J'étais stagiaire, je craignais pour mon emploi.»
Déçu et fatigué. Aujourd'hui il a été changé de service et poursuit sa carrière normalement.
Omar, de son côté, vient de s'inscrire au RMI et souhaite faire de son cas un exemple. «Mon affaire est révélatrice d'un malaise, elle est le processus inverse des discours présidentiels d'ouverture et d'intégration.
Ça pose une vraie question : quand, dans un service de trente personnes, il n'y a aucun Noir ni Maghrébin, qu'est-ce qui se passe face à la différence ? On ne sait pas la gérer.»
Très impliqué dans la vie associative et investi auprès des jeunes de cités, il a aujourd'hui l'impression que «la zone de non-droit, c'est l'administration et pas le quartier».
Une procédure est en cours, elle pourrait aboutir devant le tribunal administratif.
Mais Omar se dit déçu et fatigué. C'est son dernier combat.
Ensuite, il envisage de quitter la France et rêve de s'installer en Grande-Bretagne ou aux Etats-Unis.