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Au rayon de la « walmartisation »
Numéro deux mondial, le groupe français n’est devancé que par le géant américain
de la grande distribution et s’attache à le prendre en modèle.
Même dans les dérives illégales de leurs « exigences économiques », les dirigeants de Carrefour n’inventent rien... Ils ne font que faire leurs les recettes non avouables de la firme qui leur ravit la première place mondiale dans le secteur de la distribution : l’américain Wal-Mart qui, depuis quelques années, menace d’ailleurs de lancer une OPA sur Carrefour. Discriminations sexuelles, salaires en dessous des minima, travail illégal d’enfants, fournisseurs exsangues et surtout chasse aux syndicats... Depuis sa création en 1962, le géant américain de la grande distribution collectionne autant les superlatifs que les assignations devant la justice. Ce qui n’empêche pas le PDG, Lee Scott, d’affirmer en juillet 2005 à l’assemblée des actionnaires : « Nous n’avons pas besoin d’un tiers pour la représentation de nos salariés, la porte des dirigeants est toujours ouverte en cas de problème. »
Par an, Wal-Mart est convoqué devant les tribunaux plus de 6 000 fois, soit en moyenne un procès toutes les quatre-vingt-dix minutes ! Pour Lee Scott, de simples « dommages collatéraux » d’une réussite économique extraordinaire.
Plus grosse entreprise mondiale et premier employeur privé des États-Unis, le géant de la distribution réalise presque 300 milliards de dollars de chiffre d’affaires, ce qui rend l’entreprise plus riche que cent cinquante pays, dont la Suède ! Inutile de s’étonner que la plupart des transformations des règles planétaires du capitalisme aient trouvé leur pendant, leur origine ou leur carburateur au siège social du géant américain dans l’Arkansas. Car ce que Wal-Mart fait ne peut laisser indifférents ses concurrents.
Exemple avec l’antisyndicalisme primaire du numéro un mondial. L’imposant immeuble du siège de Wal-Mart à Bentonville possède un étage encore plus secret que les autres. Celui des « brigades anticontestation » : 70 spécialistes du droit du travail, experts en failles juridiques, qui sont payés à plein-temps pour prévenir la création d’un syndicat dans l’un des 4 900 magasins de la chaîne.
Aussitôt que des salariés exaspérés demandent la création d’un syndicat dans un Wal-Mart, la direction du magasin fait appel à ces juristes un peu spéciaux. Envoyés par jets privés, ils ont alors carte blanche pour éradiquer tout mouvement de contestation.
« Interrogatoires musclés de salariés fauteurs de troubles, confiscation de la littérature syndicale, licenciement des syndiqués, ou encore mise en place de caméras de vidéosurveillance », recensent Walter Bouvais et David Garcia, dans leur ouvrage Multinationales 2005.
Si ces 70 chaperons antisociaux abattent chaque année un « travail » colossal, l’arme absolue de Wal-Mart reste le lock-out.
En 2004, les 150 employés d’un magasin de la chaîne à Jonquière, au Québec, avaient réussi à obtenir leur accréditation syndicale. Le 6 mai 2005, Wal-Mart annonce purement et simplement la fermeture du magasin. « Ce magasin n’aurait pas été viable », a alors expliqué un porte-parole de Wal-Mart, visiblement au-dessus des soucis de légalité.
« Nous avons estimé que le syndicat voulait altérer de fond en comble notre système d’opération habituel. »
Que Carrefour s’inspire de Wal-Mart dans le management social donne le frisson... D’autant que si, aujourd’hui, Carrefour est montré du doigt, nombre d’enseignes pratiquent un antisyndicalisme sauvage comme l’étaye Dejan Terglav, secrétaire fédéral de FO. « Chez Leclerc par exemple, c’est le système même de franchise des magasins qui empêchent l’implantation de syndicats. »
C. Ch.
Article paru dans l'édition du 20 janvier 2006.