La 4 CV, sexagénaire et toujours "chérie du populo"
LE MONDE | 09.02.06 | 15h07 • Mis à jour le 09.02.06 | 15h07
Sur
le point d'entamer sa remise en ordre de marche sous la houlette de Carlos Ghosn, Renault a décidé de s'offrir une parenthèse attendrie en célébrant les soixante ans de la 4 CV, le modèle qui écrivit les plus belles pages de l'histoire du constructeur automobile français. Lors du Salon Rétromobile, qui se tient du 10 au 19 février à Paris Expo, porte de Versailles, la marque au losange compte raviver les grandes heures de celle qui fut surnommée "la chérie du populo".
Sur le stand Renault, trôneront dix modèles de 4 CV, dont un prototype (reconstitué) de 1942, un charmant cabriolet Brissonneau & Lotz, un chic coupé Autobleu et une exotique version Hino japonaise. Tant pis pour la Dauphine, née en 1956, et pour la glorieuse Etoile Filante bleue des records (la miniature au 1/43 est un objet-culte), dont le demi-siècle passera un peu inaperçu.
Nulle autre que la 4 CV (quinze ans de carrière, un million d'exemplaires) ne symbolise autant la France des années 1940 et 1950. Elle fut conçue pendant l'Occupation, en cachette de Louis Renault, qui préférait une grosse 11 CV, par deux ingénieurs aux convictions "progressistes", Charles-Edmond Serre et Fernand Picard. Pour l'historien Jean-Pierre Rioux, "la 4 CV sera quasiment une résistante, dessinée, conçue, fignolée et essayée dans l'ombre".
Elle s'inspire beaucoup de la Volkswagen KDF de 1939 : quatre places, moteur à l'arrière et suspension à roues indépendantes. Au printemps 1946, à l'initiative du ministre communiste de la production industrielle Marcel Paul, Ferdinand Porsche, le créateur de la "voiture du peuple", est dépêché pour valider le projet. A Billancourt, on n'apprécie guère l'arrivée de ce consultant, qui, du reste, ne trouvera pas grand-chose à redire.
Grande vedette du Salon de Paris d'octobre 1946 (le premier, depuis huit ans), la 4 CV aux fines moustaches chromées naît au milieu d'un véritable désert automobile. Dans La 4 CV de Mon Père (éd. ETAI, 120 p., 1996, 26,70 euros), Patrick Lesueur rappelle que la France ne compte en 1947 qu'une voiture pour quatre-vingts habitants. Il cite cette envolée de Pierre Lefaucheux, premier président de la Régie Renault, lors du discours officiel : "Il faut que disparaisse cette notion vraiment périmée de l'automobile objet de luxe restant l'apanage des privilégiés de la fortune et augmenter le bien-être général en mettant l'automobile à la portée du plus grand nombre."
ELLE A MIEUX VIEILLI QUE LA 2 CV
En attendant, les quatre cinquièmes de la production de l'île Seguin sont réservés à l'exportation pour grappiller quelques devises. Le peuple se contente de convoiter cette rondelette Renault à l'austère dénomination fiscale mais dont le sobriquet sera vite trouvé. On l'appelle la "motte de beurre" à cause de sa silhouette dodue et de sa couleur jaune paille (la Régie a récupéré un stock de peinture de camouflage de l'Afrika Korps).
La 4 CV est une vraie voiture moderne. Un poids plume (560 kg), un volume habitable épatant pour ses 3,63 mètres, quatre portes, quatre roues indépendantes, une direction à crémaillère et un vaillant quatre-cylindres de 760 cm3 ne consommant guère plus de 6 litres aux 100 km. Aujourd'hui, elle fait encore bonne figure. Sur la route, on est surpris par le confort de sa suspension, la douceur de sa direction et l'étagement judicieux des trois rapports de la boîte de vitesses. Elle paraît avoir mieux vieilli que la 2 CV, dont la conduire reste très pittoresque.
A mesure que progresse la reconstruction du pays et qu'augmente le pouvoir d'achat, la 4 CV s'offre aux masses populaires, pas peu fières d'embarquer pour Royan avec toute la marmaille. En 1954, un tiers des acheteurs sont des ouvriers. Simple et vertueuse, la 4 CV n'est pas du genre à se prendre pour une autre. Ses seules coquetteries seront de menus accessoires, comme les sabots d'aile Robri ou la table de camping "Kiss-ply". Jusqu'à l'arrêt de la fabrication, en 1961, elle n'évoluera guère.
En 1996, à l'occasion du cinquantenaire de la voiture, Renault dévoila au Salon de Genève un concept-car baptisé Fiftie. Cette ravissante relecture moderniste de la 4 CV, avec châssis en aluminium et carrosserie en fibre de carbone mais sièges garnis de lin, panneaux de porte habillés de rotin et plancher recouvert de linoléum, fit présumer à certains qu'une Nouvelle 4 CV pourrait rejoindre la cohorte des New Beetle et des New Mini. Fol espoir : la classe ouvrière ne croit pas à la réincarnation. La véritable héritière de la 4 CV, c'est la Logan. Une Renault qui veut démocratiser l'automobile en Roumanie, en Inde et au Kazakhstan.
Jean-Michel Normand
Article paru dans l'édition du 10.02.06