Joel-Peter Witkin. Le poète sombre de la photographie
Né à Brooklyn en 1939, Joel-Peter Witkin est, dès son enfance, fasciné par la mort. C’est à 6 ans qu’il aurait assisté, accompagné de sa mère et de son frère, à un carambolage au cours duquel la tête d’une fillette roula à ses pieds. Il en restera fasciné, « tombé amoureux », comme il le dit lui-même, de cette fillette, et cherchera très rapidement, à travers son travail photographique, à retrouver l’émotion de cette funeste rencontre.
Attention, certaines images peuvent choquer – Ames sensibles s’abstenir !
Inspiré par le travail de Weegee qui photographiait les scènes de crimes dans les années 30/40, il s’essaiera au photo-reportage avant de se lancer dans la mise en scène de natures mortes-vivantes, recherchant sans cesse la collaboration d’êtres difformes qui lui semblent être la seule alternative à la normalisation de sa propre monstruosité fantasmée. Ses annonces passées dans les journaux demandent des êtres contrefaits, des nains, des débiles, des femmes obèses, à barbe, des gens mutilés, transsexuels, fous, mystiques, malades, anorexiques… en somme, une hallucinante parade de freaks, qu’il aime à côtoyer et parmi lesquels il se perd, éperdument. Il est également à signaler que tous ces modèles sont venus à lui, de leur plein gré, touchés peut-être par cet art étrange qui est le sien et qui leur ressemble.
Son œuvre, précocement accueillie de la manière la plus favorable qui soit en France, a généré depuis ses débuts moult scandales et controverses, en raison de la nature de ses modèles, sans oublier son utilisation de morceaux de cadavres, squelettes, fœtus humains et animaux morts afin de composer ses tableaux, à la manière d’Archimboldo.
Né d’un père juif et d’une mère très catholique, Witkin revendique sa foi en l’église catholique tandis que ses détracteurs accusent son œuvre d’être blasphématoire… Son mysticisme ainsi que le fort pouvoir d’évocation érotique de ses invraisemblables allégories le classent parmi les artistes sans concession, à la fois adulé et adoré, sans que son œuvre puisse, d’une manière ou d’une autre, laisser indifférent.
Contrairement à d’autres artistes que nous vous avons jusqu’alors présenté, la singularité de Witkin est de ne pas sublimer de manière attendue ses modèles. Ainsi, les personnes obèses qu’il utilise lors de ses créations sont choisies pour l’anormalité de leur physique, et non pas par préférence esthétique ou sexuelle de l’artiste. Ces personnes sont » hors normes « , des êtres » exceptionnels » au sens où Witkin l’entend et celui-ci se propose de les mettre en scène en tant que tels. Il nous donne à voir des êtres » monstrueux » qu’il rend porteurs de messages mystiques. Les significations sont douloureuses, plus encore que la condition extra-ordinaire des modèles de l’artiste, à qui il offre une revanche à sa façon. Etres difformes, malades, honni de la société, Witkin leur offre une place de choix au sein de son panthéon sulfureux de » monstrueuse beauté « .
Sa technique, désormais enseignée dans les écoles de photographie, est également un blasphème pour les puristes, de par le fait qu’il n’hésite pas à endommager son support (le négatif) afin de renforcer le pouvoir évocateur de sa création : rayures faites au rasoir, bains de thé ou de café, grattages, brûlures… Cette phase de création est tout aussi douloureuse que la composition du tableau : l’artiste y met toute son âme, transmettant à son support tout la violence et la destruction qu’il ressent au plus profond de lui.
Le travail de Joel-Peter Witkin est aujourd’hui reconnu mondialement, il a donné lieu à de nombreuses expositions et diverses publications. Il est exposé régulièrement à la Galerie Baudoin Lebon à Paris. Vivant à Albuquerque (Nouveau Mexique), le poète sombre de la photographie (ainsi qu’il s’est lui-même désigné) se montre peu en public désormais et produit environ une dizaine de photos par an, dans un style de plus en plus épuré. Le monde fantasmatique de cet artiste hors du commun a inspiré plus d’un photographe, souvent copié, toujours envié, jamais égalé…
Vous pouvez découvrir d’autres photographies de Joel-Peter Witkin en cliquant sur ce lien, à vos risques et périls : Mineur(e)s et âmes sensibles, passez votre chemin ! on n’entre pas impunément dans cet univers-là…
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