La Vénus Hottentote ou le destin tragique d’une femme callipyge
Si l’histoire de la femme qui fut surnommée la Vénus Hottentote nous révolte
Née en 1789 au Cap, en Afrique du Sud, cette jeune femme appartenait à la tribu khoekhoe, « le Peuple des Peuples ». Ce sont les hollandais, colonisateurs de son pays, qui avaient nommé son peuple « hottentot », ce qui signifie « bègue », à cause de la consonance particulière de leur langue.
Après avoir vu ses parents et presque toute sa tribu mourir sous ses yeux, massacrés par les hollandais qui chassaient les « sauvages » hottentots pour s’amuser d’abord, les exterminer ensuite et enfin vendre leurs têtes coupées en Europe aux musées d’Histoire Naturelle et aux cabinets de curiosité, Ssehoura, âgée de 14 ans perdit son époux dans la guerre contre les blancs, puis l’enfant en bas-âge qu’elle avait eu de lui. Résolue à rester en vie, elle se rendit à l’orphelinat dans la grande ville à plusieurs jours de marche pour apprendre le métier de servante, convaincue qu’elle mourrait si elle restait sur les terres khoekhoe.
Rebaptisée Saartjie, elle fut rapidement mise au service d’une famille hollandaise, dans laquelle elle fut vraisemblablement violentée. Puis elle fut vendue au frère de son maître, Heindrick, qui avait souhaité l’acquérir après avoir entendu parler du fameux tablier hottentot : cette déformation volontaire du sexe féminin était pratiquée sur les jeunes filles dès les premières règles. On pratiquait deux incisions de chaque côté des petites lèvres de la vulve pour les étirer vers le bas et y insérer un petit caillou : en mettant des cailloux de plus en plus lourds, un long processus d’étirement s’accomplissait jusqu’à ce que le sexe ait la forme requise (parfois plus de 10 cm de long) : ces deux membranes hyper-développées devaient pouvoir envelopper le gland de l’homme afin de lui donner un maximum de plaisir. Cet organe surdimensionné (Fig. 16) avait fait l’admiration et l’étonnement des premiers blancs qui avaient foulé cette terre africaine (la première mention du « tablier hottentot » date de 1640), et une sorte de légende en était née, à tel point que le tablier hottentot fut pratiquement considéré comme une chimère, comme quelque chose qui n’existait pas, objet de tous les fantasmes. Il est également à signaler que les khoekhoe pratiquaient également une mutilation génitale sur les jeunes hommes : au passage de la puberté, quand les jeunes garçons devenaient des hommes en âge de se marier, on leur ôtait un testicule afin qu’ils ne soient pas gênés pour courir (de même que chez les légendaires amazones, le sein droit des fillettes était brûlé afin qu’il ne se développe pas et ne les gêne pas pour tirer à l’arc).
Dunlop, ancien chirurgien de la marine anglaise et aventurier, se trouvant au cap rencontra Saartjie chez son maître, et convainquit celui-ci qu’il y avait fortune à faire en emmenant sa servante en Europe pour l’exhiber contre de l’argent. Séduite par le bel anglais qui lui promis le mariage, la jeune femme, alors âgée de 21 ans, se laissa emmener en Angleterre, pensant qu’elle partait pour quelques temps se montrer en spectacle librement et qu’elle y serait accueillie comme la huitième merveille du monde. Il en fut pourtant tout autrement.
Saartjie arriva a Londres en 1810 et commença à déchanter lorsque ses maîtres, Heindrick et Dunlop, essayèrent de la proposer à un musée d’Histoire Naturelle pour l’exhiber aux côtés d’animaux sauvages empaillés, ce que le propriétaire des lieux refusa. Fut alors loué un local dans une rue où toutes sortes de monstres et phénomènes de foire étaient exhibés : nains difformes, géants, femmes à barbe, obèses, enfants-lion, siamois, toutes sortes d’erreurs de la nature, « ceux-qui-n’auraient-pas-du-naître »* et autres choses exotiques, charmeuses de serpents, contorsionnistes… Sous le sobriquet ironique de « Vénus hottentot », qui deviendra définitivement son nom de scène, repris sur les affiches de promotion de ses exhibitions, Saartjie fut présentée presque nue, en tenue traditionnelle, sous les quolibets et les insultes du public horrifié de sa « difformité » physique.
La jeune femme était en effet stéatopyge, son fessier énorme et ses hanches extrêmement larges contrastaient avec la finesse de son buste (Fig. 7). En outre, Saartjie mesurait 1m39, contrairement à ce qui est représenté sur les caricatures de l’époque, où elle semble gigantesque, ou du moins aussi grande que son public. Son fessier invraisemblable, elle le devait à des prédispositions génétiques autant qu’à une pratique traditionnelle que l’on connaît encore à l’heure actuelle dans certains pays (Voir l’article VLR sur les rondes en Mauritanie) : le gavage des jeunes filles et le modelage de leurs formes. Leurs fesses étaient ainsi régulièrement massées de beurre et d’onguents secrets jusqu’à ce qu’elles dépassent d’un pied de la ligne du dos. Les jeunes filles étaient gavées d’huile d’arachide, de bouillie de céréales et de miel, pour leur faire prendre des kilos sur les fesses et les cuisses. D’après ce que l’on sait, certaines filles à marier pouvaient à peine se lever ou soutenir leur propre poids sans basculer en arrière, et parfois même devaient être déplacées soutenues par leur frère ou sur un siège*.
Ce sont ces particularités anatomiques, visibles du public du fait que Saartjie était exhibée vêtue d’un fin justaucorps moulant de la couleur de sa peau, et portant ses parures traditionnelles. Elle devait chanter, jouer d’une sorte de guimbarde, grogner, danser au gré des fantaisies de son « dompteur », Heindrick généralement, qui alla même jusqu’à la montrer dans une cage, contre de maigres gages. La renommée de la « Vénus Hottentot » se répandit dans toute l’Angleterre et l’Europe, de nombreuses caricatures furent diffusées (Fig. 6, 8, 15 et 17), des chansons paillardes et moqueuses furent écrites sur elle et chantées, de nombreux produits exotiques se réclamèrent « hottentots » (du chocolat, des gants, de l’alcool…), de nombreuses boutiques prirent le nom « à la Vénus hottentote » … des milliers, des millions de gens la virent, au cours des six années qu’allait durer son calvaire. La gloire était là, mais au prix de quelles souffrances, de quelles humiliations, de quelle exploitation inhumaine pour cette femme, objet de toutes les attentions, toutes les curiosités, tous les fantasmes, toutes les haines, tous les outrages ?
Cette situation honteuse ne manqua pas d’émouvoir une association de lutte pour les droits des personnes de couleur, puisque l’esclavage avait été récemment aboli en Angleterre. Mais Saartjie, menacée par Dunlop et Heindrick d’être mise dans une maison de passes ou dans un asile d’aliénés, n’eut de cesse de déclarer qu’elle était là de son plein gré, puisqu’on lui avait promis qu’elle retournerait dans son pays d’ici quelques années, avec son argent gagné, à la fin de son « contrat » (qu’elle avait signé alors qu’elle ne savait pas lire)… Devant la cours de justice, elle s’entêta, de crainte de tomber sous la tutelle de l’association qui tentait de la soustraire à sa triste condition de bête de foire : elle préféra rester sous celle de ses « maîtres », qu’elle connaissait déjà. On la fit baptiser et Saartjie devint Sarah Baartman. Dunlop lui fit même l’honneur de l’épouser, sans lui dire qu’il était déjà marié et que par là-même, leur mariage ne valait rien… Mais étant officiellement son mari, il n’avait même plus à lui donner de gages puisque légalement tout l’argent de son « épouse » lui revenait… Tout ce qui appartient à l’époux est à lui, tout ce qui appartient à l’épouse est au mari*… Pour finir, après quatre ans d’exhibitions harassantes à Londres et dans toute l’Angleterre, Sarah fut perdue aux jeux par son « époux » et son « contrat » d’exploitation devint la propriété d’un montreur d’ours français, Réau, ancien noble déchu à la révolution, qui l’emmena à Paris en 1814. Heindrick retourna, quant à lui, en Afrique du Sud.
Là, les exhibitions se poursuivirent, elle fut également montrée dans les salons mondains où elle était la risée de tous, mais elle attira également l’attention du naturaliste Georges Cuvier qui la loua à son maître français pendant plusieurs jours afin de l’observer, quasiment nue dans un amphithéâtre bondé de scientifiques chargés de discourir sur son inhumanité (on l’a comparée à une guenon, on a parlé de son museau) et sa débilité : il fut dit que les « hottentots » étaient, par leur crétinisme, nés pour être esclaves du fait qu’ils n’avaient pas de structure sociale (c’était en réalité des chasseurs-cueilleurs et des bergers), sans maisons (ils étaient nomades), sans religion (ils étaient animistes), sans morale (parce que sans religion), lubriques (pour preuve : la taille de leur sexe) et sans langage (parce que la langue khoekhoe raisonnait aux oreilles des Blancs comme une succession de « clics » et de « clacs » sans cohérence)… Sarah Baartman fut assimilée au chaînon manquant, une espèce de l’humanité qui se situe tout en bas de l’échelle de l’évolution, quelque part entre l’espèce humaine et l’orang-outan subhumain* … La jeune femme savait pourtant, en plus de sa propre langue, parler couramment hollandais, relativement bien anglais et un peu français et elle avait finalement appris à lire… Des artistes étaient là aussi, chargés de la représenter, la sculpter, la peintre (Fig. 1 et 2), la dessiner. Elle ne consentit jamais à montrer son sexe, le fameux « tablier hottentot », qu’elle dissimula pendant les quelques jours d’observation derrière une pièce de tissu, au grand dam de l’assemblée scientifique présente.
Dépressive, désespérée par la perte de son « mari » qui avait fuit lâchement mais qu’elle aimait vraissemblablement et par la trahison de celui-ci, usée par les humiliations quotidiennes, et l’idée qu’elle ne retournerait jamais chez elle, Sarah sombra dans l’alcoolisme et la morphine, se livrant parfois à la prostitution, puisque son sexe et ses proportions fascinaient autant qu’ils ne dégoûtaient. Le premier janvier 1816, elle mourut vraisemblablement d’une pneumonie, à l’âge de 27 ans.
Sa triste aventure aurait pu s’achever là, mais c’était sans compter sur l’opiniâtreté des scientifiques et l’appât du gain de Réau : celui-ci vendit son corps à Cuvier pour 5 000 francs. Le naturaliste fit mouler le cadavre pour en faire une statue grandeur nature (Fig. 3 et 4), le disséqua en portant la plus grande attention à la structure de son fessier pour conclure que la protubérance n’était nullement musculeuse ni squelettale*, mais qu’il s’agissait d’une masse de consistance élastique et tremblante, placée immédiatement sous la peau et qui vibrait en quelque sorte à tous les mouvements que faisait cette femme*. Il préleva son cerveau et son appareil génital qui furent conservés dans des bocaux remplis de formol. A sa mort, Sarah Baartman mesurait donc 1m39, pesait 33 kg, ses fesses dépassaient de son dos de 16,5 cm et sa largeur de hanches était de 45 cm, le reste de son corps étant petit et bien proportionné, son visage en forme de cœur… (Fig. 1, 2, 5, 6 et 7). Son squelette, enfin, fut débarrassé de ses chairs, pour être exposé au musée d’Histoire Naturelle, parmi les animaux empaillés et les têtes coupées des gens de son peuple martyrisé par la folie conquérante et colonialiste des Blancs. Par pur cynisme, notons qu’à sa mort en 1832, Cuvier vit son cerveau également prélevé et mis dans un bocal sur une étagère, où il voisina avec celui de Sarah Baartman… En 1889, le squelette de celle-ci fut transféré au Musée de l’Homme (Fig. 4), où il resta exposé au côté du moulage de son corps jusqu’en 1974 avant d’être relégué dans les réserves poussiéreuses, voué à l’oubli.
Mais c’était sans compter sur la pugnacité des descendants de son peuple qui là-bas, en Afrique du Sud, œuvraient pour le retour au pays de « Maman Sarah », celle qui était devenue un symbole de cette Afrique, leur Afrique, bafouée par les Blancs. C’est en 2002, enfin, que le Sénat français vota le retour de Sarah Baartman à la terre de ses ancêtres. Son squelette fut déposé dans un cercueil, avec son cerveau et ses organes génitaux, et un avion la ramena chez elle, presque deux siècles après qu’elle en fut partie, pour son malheur. La cérémonie rassemblait quelques 10 000 personnes, son cercueil flotta sur une mer de mains qui voulaient le toucher, le porter… Après une cérémonie en grande pompe (Fig. 18), elle fut incinérée au pied des collines khoekhoe où elle avait grandit. Puisse t-elle avoir enfin trouvé le repos.
* les citation sont tirées du livre « Vénus hottentote » de Barbara Chase-Riboud
Callipyge : (du grec kallos, beauté et pugê, fesse). Qui a de belles fesses. Statue de vénus callipyge.
Stéatopyge : caractérisé par la stéatopygie. Vénus stéatopyge.
Stéatopygie : (du grec stear, -atos, graisse, et pugê, fesse). Présence d’un matelas adipeux épais dans la région du sacrum et des fesses, reposant sur une ensellure (cambrure exagérée) lombo-sacrée très prononcée, et fréquente chez les bochimans et les hottentots.
…Définitions issues du Petit LAROUSSE (1988)…
En outre, il est à noter qu’au 19e siècle, les statuettes préhistoriques découvertes en divers endroits, et supposées avoir été sculptées par des ancêtres noirs (quelques préhistoriens voulurent voir dans certains caractères des ossements découverts lors de fouilles de sépultures préhistoriques la preuve morphologique d’une origine africaine) reçurent le qualificatif de « Vénus », en référence à la Vénus Hottentot, alors exhibée en Europe. Le terme de Vénus n’est donc pas le reflet d’une vision idéale de la beauté féminine mais le souvenir lointain de l’arrogante et peu glorieuse suprématie occidentale. (Compte rendu d’une communication (24/10/2001) de Randall White (Professeur au Département d’anthropologie de New York) sur « Les statuettes féminines gravettiennes et épigravettiennes : Perspectives technologiques et contextuelles«
Des liens :
Les rondes en Mauritanie (Le gavage des jeunes filles en Mauritanie sur Vivelesrondes)
Photos anthropologiques de femmes de type hottentote
Proposition de loi autorisant la restitution par la France de la dépouille mortelle de Saartjie Baartman, dite « Vénus hottentote », à l’Afrique du sud
A lire :
« Vénus hottentote » de Barbara Chase-Riboud
« L’énigme de la vénus hottentote » de Gérard Badou
« Les zoos humains : de la vénus hottentote aux réality shows » de Eric Deroo, Pascal Blanchard, Gilles Boëtsch, Nicolas Bancel, Sandrine
« Zoos humains: l’horreur ethnographique » de Nicolas Blancel
A voir (film) :
On l’appellait « la vénus hottentote »(1998)