david a écrit:Bon moi je vais être très clair :
j'habite dans une de ces villes de banlieue Parisienne ou pour manger dehors chaud sans voiture, (par exemple le midi si tu bosse, ou le soir) tu as 3 choix à moins de 10 euros : macdo, le grec du coin, le café cradingue.
Alors oui, escusez ma malpensance, mais j'ai tendance à croire qu'un acteur comme macdo pourrait changer beaucoup de choses dans l'alimentation des gens en sacrifiant quelques points de rentabilité. Et que ce n'est pas de lui même qu'il le fera.
C'est bien gentillet de taxer de José Bovisme ou d'assistanat toute critique envers des puissances, mais si on poursuit votre raisonnement alors :
- A quoi çà sert de parler des régimes et de vouloir faire avancer les choses, les gens sont libres de ne pas en acheter, même si on les voit partout !
- A quoi çà sert de se plaindre de la manière dont la femme est représenté dans la télé et les magazines, vous n'avez qu'à pas acheter de magazines, et ne plus regarder qu'Arte ou prendre le cable !
Vous plaignez pas de la malbouffe, vous n'avez qu'à en acheter de la bonne !
Hooop! Je met le pied à l'étrier (et j'espère que je vais pas trop détourner ton discours et ta reflexion)
Il y a plusieurs questions que tu soulèves :
1/ -Les inégalités socio-géographiques :
Certains quartiers (im-)populaires sont assez peu (pour pas dire très mal) désservis en terme de services (public, commerciaux, de loisirs, de transports, etc.) : les gens y vivent comme ils peuvent, avec la qualité des services qu'il y trouvent, ou qu'ils n'y trouvent pas.
De toute façon, là,
le choix devient nécessaire, et très peu diversifié. Ces services de "qualité" n'existent pas dans ces endroits pour une raison tout à fait compréhensible : y'a pas le standing social pour soutenir le marché. Les gens n'auraient pas les moyens de se payer des services de qualité, même s'ils étaient géographiquement accessibles...
(Ca me rapelle je ne sais quelle marque prestigieuse de lunette, il y a quelques années, qui avait voulu faire fermer une de ses enseigne en franchise, sous pretexte que l'exploitant opticien s'était installé dans un quartier populaire de Marseille, et que cela nuisait, de part la situation géographique, à l'image de marque de notre cher fabriquant).
En sociologie on appelle ça "la distinction" :
Au lieu de penser que les gouts et les couleurs sont des notions individuelles qui ne se discutent pas et ressortent du libre arbitre, on en vient à essayer de comprendre pourquoi certaines catégories de la population font tels choix plutot que tels autres.
Par exemple, cela revient à comprendre que les classes populaires mangent et s'habillent avec des marques emblématiques (mais accessibles) de la société de consommation, par souci d'intégration ( : "je veux ressembler au modèle de société qu'on me présente au quotidien, histoire de sentir que j'en fais partie") ;
que les classes moyennes vont manger bio et s'habiller "surtout sans vetements de marque", pour le confort et la qualité de vie (en fait surtout pour ne pas trop ressembler aux classes populaires, et pour essayer un peu de ressembler aux riches) ;
que les classes de riches vont s'habiller Vuiton/Versace et manger à la Tour d'argent ou remplir le frigo chez le traiteur (parce que c'est raffiné, et surtout "ouf", c'est pas accessible aux rustres des autres classes sociales, donc on leur ressemble pas).
Ah oui, reste les Bobos, les bourgeois-bohèmes : ils mettent des jeans crads et vont manger chez Marcel (25 euros "seulement" le plat du jour), histoire, encore une fois, de pas (trop) ressembler aux fils et filles à papa qu'ils sont malgré tout.
Tout ça pour dire que nos choix culturels sont loin d'être purement individuels, alors tant qu'à faire, traitons les comme des projets et des choix de société, collectifs, et sur lesquels, oui, il faut parfois savoir agir collectivement.
Le problème, c'est que la question collective est compliquée : elle supporte déjà implicitement la trame des hiérachisations sociales, et il faut savoir vers quel projet de société on veut aller quand on engage une action collective.
2/ -L'idée de lutte en association,
qui périclite sous certaines formes, mais renait sous d'autres formes... avec entre les deux, une conception tellement individualiste de notre existence sociale, que l'on en vient à considérer que beaucoup de domaines n'ont pas à ressortir du domaine politique (quand à moi, j'en suis plutot à considérer que la moindre des choses qui concerne l'humain est déjà, au fondement, une question politique -politique au sens antique : "cela concerne et agit sur la vie de la cité"- )
Par exemple, quand je souris à mon boulanger le matin, je sais que je fais un geste politique. (Je suis sérieux, je le pense VRAIMENT).
Bref, on est dans une crise des représentations et des sentiments d'appartenances sociales (en fait, plus ou moins : les riches savent très bien qu'ils sont riches, et les pauvres savent très bien qu'ils sont pauvres, les premiers savent très bien que la malbouffe ne les concerne pas quand ils vont faire emplettes chez le traiteur, les seconds se doutent bien que la malbouffe n'est pas une question qui les concerne sachant que leur premier souci est d'arriver à remplir leur caddie chez ED histoire d'avoir quelque chose à bouffer jusqu'au dernier jour du mois).
On pourrait comparer le "lobby anti-malbouffe" et ses détracteurs à la crise de la syndicalisation :
pourquoi se syndique t'on beaucoup moins qu'avant? Y'a quand même certains connards qui en arrivent à dire que c'est parce que le syndicalisme n'est pas pertinent, et qu'il constitue une force regressive pour le sacro-saint travail, et que les gens s'en sont bien rendu compte. Alors qu'en fait, si les gens se syndicalisent moins, c'est pour deux raisons : précarité de l'emploi, sous-traitance... Difficile de se syndiquer quand on navigue de CDD en alloc' chomage, ou que notre emploi ne dépend pas de notre petit patron, mais de l'entreprise pour laquelle il sous-traite...
En bref, plus moyen d'avoir ne serait-ce qu'une conscience collectif des enjeux, des engrenages, dans lesquels on est pris.
La question de la mal-bouffe, c'est du même ordre : en amont il y a du collectif (les industries agro-alimentaires), il n'y a pas de raison qu'en aval (nous), il n'y en ai pas. Penser le contraire, penser qu'on est un être libre de ses choix qui ne doit rendre compte que de ses responsabilités individuelles, et réduire ces responsabilités à du "quant à soi" en croyant que cela ne concerne que notre individualité, c'est se mettre le doigt dans l'oeil bien profond (pour pas dire que c'est se faire b... bien profond)
Et je pense carrément qu'il faut arriver à faire réémerger des pensées et luttes en association, à la façon dont ça se passe déjà depuis quelques années.
Les anciennes représentations collectives sont devenues obsolètes? Pourtant elles n'écrasaient pas l'individu, elles l'accompagnaient, le supportaient, le défendaient et le tiraient vers le haut, elles l'aidaient à exister comme un être civique, où se rejoignent les interêts collectifs et individuels. Et bien permettons-nous d'en inventer d'autres, qui soient pertinentes, efficaces, agissantes.
Le choix de vie de tout un chacun, ça se porte aussi comme projet de société.