Tribune libre
Moins 23, plus 30, l’histoire d’une femme qui voulait maigrir
Le Quotidien du Médecin 12/12/2011
Dans le texte ci-dessous, le Dr Annie
Lacuisse-Chabot, endocrinologue, relate l’histoire d’une de ses patientes, âgée de 33 ans, qui pour maigrir, a eu recours à un régime en vogue. Dans un premier temps, elle a perdu 23 kg puis en a repris 30 à l’arrêt du régime.
MME E.L. me consulte début juillet 2011. C’est une grande jeune femme de 1m74, musclée. Elle a 33 ans. Elle a pris dix premiers kg lors de l’arrêt de la natation de compétition à 16 ans, en a repris quelques-uns à l’arrêt du tabac à 20 ans. Deux grossesses à 25 ans et 27 ans l’ont amenée à une centaine de kilos.
Elle pèse aujourd’hui 107 kg. Elle a décidé en mai 2009 (en fait 3 mois après une cholécystectomie pour lithiase), me dit-elle, de suivre le régime Dukan. Elle a très précisément commencé le régime le 14 mai 2009. Un livre va devenir son vade-mecum pour quelques mois. Elle surligne les phrases. Trois mois plus tard, elle pèse… 23 kg de moins (110 - 87). Le gastro-entérologue, devant la remontée des transaminases, lui demande fin juillet d’arrêter immédiatement ce régime. En décembre 2010, elle pèse... 117 kilos, soit 30 kilos de plus !
Lors de notre deuxième consultation, 15 jours plus tard, elle arrive en posant le livre sur mon bureau.
« Au début, me raconte-t-elle, vous êtes transportée par le concept (elle dira la plupart du temps « vous » lors de cet échange et très peu « je »). Vous lisez un livre et vous vous dites que c’est quelqu’un qui vous a compris, qui va vous faire perdre du poids rapidement. D’ailleurs, en le parcourant avant de venir, j’ai vu « Le gros avoue sans honte »*. Je me suis demandé comment j’avais pu supporter cette expression " le gros ". En fait à l’époque, je m’étais dit : " il faut appeler un chat un chat. Je suis une grosse !" Aussi on a, dans ce livre, l’idée que, en gros, " le gros ", il aime bouffer ! Vous vous mettez à maigrir. Vous êtes transporté au début dans une espèce de toute puissance. Je n’ai jamais consommé de drogue, mais c’est l’idée que je m’en fais. En deux mois, moins 20 kg. Vous remettez des petites robes, vous n’allez plus au rayon 44, vous remettez un petit 40. Vous vous élevez. Vous n’êtes plus du tout en rapport avec votre corps. Il y a plusieurs facteurs qui sont présents. Vous avez votre enveloppe, vous la connaissez, mais quand vous vous voyez en photo, il y a un décalage. Il y a aussi une représentation de la balance dans la tête. Par exemple, vous avez l’habitude de voir votre balance montrer 100 ou 110 kg. Quand vous perdez du poids trop rapidement, vous déconnectez.
« À un moment, après trois semaines un mois, je n’avais plus faim. C’est dur de manger cinq steaks par jour. Vous avez une sorte d’arrogance par rapport au gros qui n’a pas réussi à se prendre en main. C’est étrange comme sentiment. Ce n’est plus cohérent. J’ai relu mes annotations sur le livre. La lecture du livre vous fait y croire. Je voyais : " Mangez aussi souvent que vous le désirez ". Ce n’est pas logique. Mes parents m’ont élevée en mangeant quatre fois par jour. J’ai écrit en face : " Comment identifier ses pulsions ? ". On a envie d’y croire.
« À partir du deuxième mois, il y a une sorte de mépris pour ce que l’on a été. C’est de la toute-puissance. Vous mangez deux steaks hachés, deux faux-filet, deux soles, un demi-kilo de fromage blanc…
J’ai dû arrêter brutalement parce que le médecin me l’a demandé. Les premiers temps, vous continuez à perdre du poids. Bien sûr qu’on réagit aux frustrations qu’on a rencontrées, on fait une razzia chez Mac Do, chez Ladurée. Vous êtes bien. Vous vous dites : ces kilos perdus, c’est de l’acquis.
Et puis, un matin, vous vous réveillez trois semaines plus tard, vous avez repris huit kilos. Et ensuite c’est l’engrenage. Je suis passée de 110 kg à 90 kg avec le régime, j’ai perdu trois kilos dans les semaines suivantes, et je pesais 117 kg en début d’année 2011. »
« Par rapport à mon échec...», me dit-elle quelques phrases plus tard. Je lui demande de quel échec il s’agit. « C’est par rapport au livre. J’ai nié le vrai problème. Et en plus il m’appelle la grosse. J’ai l’impression de m’être fait berner. C’est un mélange de colère et de plein de choses. Mais c’est un mal pour un bien. La descente a été très difficile. (Elle parle du moment où elle a réalisé qu’elle pesait 117 kg).Mais j’ai pris conscience de toute une série de choses. »
› Dr ANNIE LACUISSE-CHABOT
*Également dans le livre Je ne sais pas maigrir, édition 2009 augmentée, page 19 et 20, « Le gros qui désire maigrir a besoin d’un régime qui démarre vite… Le gros amaigri et victorieux… »
PS. Les 20 dernières années ont montré l’inefficacité à moyen terme des régimes hyperprotéiques chez l’immense majorité des personnes en surpoids ou obèses, leur inadéquation ou leur non-innocuité, que ce soit dans le domaine somatique, comportemental ou psychologique.
Il est d’autre part étonnant qu’aucun médecin, psychologue, soignant, patient porteur ou atteint d’obésité n’ait noté l’utilisation de cette dénomination « Le gros » ou « La grosse » pour parler de patients atteints d’obésité. Faut-il qu’il y ait encore de la honte dans ce domaine pour l’accepter aussi sereinement.
Rédigé par Laurence Haurat le 13 décembre 2011 à 22h44 dans Livres, Ma pratique | Lien permanent | Commentaires (0) | TrackBack (0)