Le nouvelobs du 12/04 a fait un dossier spécial sur la "mutation" du corps électoral qui ne rentre plus aussi facilement dans les cases de la gauche ou de la
droite.
Je trouve les portraits marrants et plutôt justes. Je mets un lien vers l'article, mais je le copie aussi car il ne restera surement pas en ligne longtemps.
Nouvel obs du 12/04/07 n°2214 :
http://hebdo.nouvelobs...e_quelle_tribu_êtesvous_.html
Et un teste pour trouver votre tribu :
http://hebdo.nouvelobs...politique_en_12_questions.html
Alors, de quelle tribu êtes-vous ?
Citation:Les indécis :
Leur devise : « J'hésite, donc je suis »
Leur bête noire : les médias et les sondages
Leur people : Coluche
Un Français sur deux affirme ne toujours pas savoir pour qui voter. Voilà encore quelques scrutins, il était vaguement honteux de s'afficher dans le pêle-mêle des indécis, tout en bas des sondages, avec les mous, les endormis, les sans-parti, ceux qui ont raté le début du film ou qui n'en comprendront jamais la fin. De ce point de vue-là, la campagne 2007 est déjà une révolution : les sans-opinion se vivent en nouveaux sans-culottes. Ne pas savoir ? Les gens en sont fiers, le revendiquent comme le plus beau des engagements. Dans un parc à Vichy, une retraitée promène son caniche à petits pas. Elle adore dire qu'elle hésite encore sur les candidats. Un sourire carnassier la métamorphose tout à coup. «Je vois les autres se décomposer immédiatement en face de moi. Pour la première fois de ma vie, je sens que je fais trembler. Je me sens la bombe humaine.»
Une partie des Français a toujours aimé jouer de la carte d'électeur comme on tirerait la langue à un système. Souvenez-vous du candidat Coluche dans les années 1980, de la vague d'abstentions pendant la décennie suivante, puis le second tour de la présidentielle en 2002 ou le non au référendum en 2005. «Les politiques se moquent de nous? Eh bien, on fait pareil!» se fâche un commerçant ambulant, électeur d'un tour au FN. Cette fois-ci, fini les nez de clown, Le Pen catapulté en deuxième homme a freiné les envies de rire. En masse, les Français se sont inscrits sur les listes électorales, ils se découvrent une passion pour les livres et les émissions politiques et jurent qu'ils iront voter. Pour qui ? Toute l'affaire est là. Un informaticien, attablé au McDonald's de la Défense, ne cache pas sa jubilation : «Quand je vois l'affolement que mon simple doute crée dans les médias et les sondages! Et tous ces commentateurs tellement péremptoires qui n'osent plus faire un seul pronostic!» En piochant dans ses frites, il crie : «Yes! Leur putain de machine est déréglée!»
Mireille, une institutrice, affirme avoir déjà changé d'avis trois fois depuis le début de la campagne et envisage de continuer. Elle vient de s'installer avec gourmandise devant une émission sur LCI où les invités se lamentent de voir la clé du scrutin toujours entre les mains des indécis. «Ils croyaient nous avoir. Pas si facile. Cette fois, ils n'ont même pas compris à quoi on joue.» Au fait, quand fera-t-elle son choix ? «Je vous le dis à vous : il est fait depuis longtemps.»
Florence Aubenas Le Nouvel Observateur
Citation:Les traumatisés du 21 avril :
Leur devise : « Plus jamais ça ! »
Leur bête noire : Le Pen
Leur people : Lionel Jospin
Ils ne veulent même pas l'entendre. Ils n'ont pas besoin de se faire une idée sur la candidate, surtout pas même. C'est décidé depuis longtemps : ils ne manqueront pas à Royal comme ils ont fait défaut à Jospin le 21 avril 2002. Pour eux, le 22 avril prochain sera tout simplement l'acquittement d'une dette vieille de cinq ans. Branchez-les sur ce soir-là, ils sont intarissables. L'apparition de Le Pen dans la lucarne des qualifiés a été comme un coup de tonnerre. C'est leur 11-Septembre à eux, leur tsunami électoral. Cette nuit-là, abasourdis devant l'écran, ils se sont fait des serments muets : plus jamais ça.
Plus jamais l'abstention : Emmanuel jure qu'on ne l'y reprendra pas à croire que ce n'est pas une voix qui change un résultat. Plus jamais le vote colère pour leur montrer qu'on n'est pas content, à ces messieurs-dames de la gauche trop arrogante : Marie, 47 ans, RMIste en 2002 et directeur d'agence ANPE depuis quelques mois, avait voté «Taubira ou Laguiller, c'est dingue je ne m'en souviens même pas». En tout cas, contre Jospin qu'elle trouvait «trop flou, à la remorque de la droite, sans identité». Et puis Chirac. Et puis, elle a longtemps attendu le « troisième tour social » dans la rue. En vain : «La réforme de la Sécu est passée comme une lettre à la poste, idem pour les retraites.» Dorénavant, pour Marie, c'est comme s'il n'y avait plus qu'un seul tour à l'élection. Pour «réparer» ce qu'elle a «manqué en 2002», mais «surtout pour ne prendre aucun risque», elle votera Ségo. «C'est une femme et elle est de gauche. Voilà au moins une raison positive de lui donner ma voix.» Parce que, pour le reste, «j'ai l'impression qu'elle n'a ficelé aucun dossier, qu'elle flotte sur tout et qu'elle aussi court derrière la droite. Elle m'inquiète, alors j'évite de l'écouter».
Marie est de la catégorie des repentis, ramenés dans le giron PS par la culpabilité. D'autres sont polytraumatisés et comme vaccinés du vote contestataire. «J'ai pris une double leçon, analyse Philippe, prof d'histoire breton de 37 ans. La première, c'est le 21avril, même si je persiste à penser que c'est d'abord Jospin qui est responsable de la défaite s'il n'a pas su convaincre plus de 16% des électeurs. La seconde couche, c'est au référendum sur la Constitution européenne. J'ai voté non avec le même espoir de faire passer un message, de peser contre le fatalisme ultralibéral. Un an après, l'incapacité de l'extrême-gauche à s'allier malgré la victoire du non est affligeante. Je me rends compte qu'il n'y a rien à attendre d'eux. Je voterai donc Ségolène Royal comme un seul homme, sans états d'âme.»
Isabelle Monnin Le Nouvel Observateur
Citation:les récidivistes d'extrême-gauche :
Leur devise : « Une autre élection est possible »
Leur bête noire : le libéralisme
Leur people : Michel Onfray
Le traumatisme du 21 avril n'est pas irréversible. Des cas de résilience, accompagnés de la tentation de récidiver, sont signalés ici ou là. Avec le temps, le choc Le Pen s'estompe. La rancoeur contre Chirac, «qui a gouverné comme un dictateur africain avec ses 82%», et l'épidermique méfiance envers «la mère supérieure» Ségolène sont plus vives. Pierre est à nouveau en colère. Il a l'impression que la situation se dégrade chaque jour sous ses yeux. Il ne peut pas se résigner, qu'on l'excuse. «J'avais juré que quoi qu'il arrive, je voterais utile, c'est-à-dire PS, au premier tour. Mais j'ai des rechutes. Là, quand j'entends Ségolène parler du drapeau français ou des camps militaires pour les mineurs délinquants, ça me colle les boules, ce n'est pas ça la gauche pour moi», dit-il. Il est éducateur spécialisé dans une institution pour handicapés à Marseille. C'est un manque de gauche qui explique pour lui la déroute de 2002, la victoire du non au référendum de 2005, le CPE, les émeutes : «On désespère les gens, c'est la misère. Ils deviennent méchants ou bien ils résistent.» Pour lui, si hésitation il y a, elle est entre Bové et Besancenot. Et puis, au second tour, «si c'est un Sarkozy-Le Pen qui sort, faudra pas compter sur moi, ni pour voter ni pour pleurer».
Isabelle Monnin Le Nouvel Observateur
Citation:les écolos paumés :
La devise : « Il est déjà trop tard »
Leur bête noire : le CO2
Leur people : Nicolas Hulot
Ça devait être leur élection. Depuis la canicule de 2003 et Katrina, jamais la prise de conscience écolo n'a été aussi forte en France. Fini l'image de gentils babas cool mangeurs de graines, les écolos sont aujourd'hui perçus comme l'avant-garde éclairée annonciatrice des malheurs planétaires. Et pourtant. Après l'incroyable percée de Nicolas Hulot, et son retrait en janvier, l'écologie semble avoir disparu du débat. Fondue comme banquise au soleil. Alors, les électeurs bio sont perdus. Loïc, en 2002, avait voté Mamère. Mais il se souvient plus de l'engueulade de... son père, un anti-chiraquien viscéral, dans l'entre-deux-tours, que du score du candidat vert. Depuis, le trentenaire a accentué sa prise de conscience et changé son mode de vie. Il mange bio, ne se déplace qu'en train et à vélo, consomme le moins possible et fait régulièrement peur à ses amis avec des scénarios écolo-catastrophes. Pourtant, Loïc hésite. Entre Voynet, la candidate des convictions, Royal, le vote rachat du 21 avril, et Bayrou, la tentation du coup de pied dans la fourmilière. Quel est le vote le plus utile pour la planète ? Le soutien à la candidate des Verts ou un vote du moindre mal ? «C'est horrible, j'en suis à me dire que je vais voter Voynet parce que j'ai de la peine pour elle, dit Loïc. En même temps, il ne faut pas s'éparpiller.» Dominique Voynet ne dépasse pas les 2% d'intentions de vote dans les sondages, si loin des 10% où culminait Monsieur Ushuaïa.
Isabelle Monnin Le Nouvel Observateur
Citation:les apôtres du ségolénisme :
Leur devise : « Parce que c'est Elle ! »
Leur bête noire : Claude Allègre
Leur people : Jeanne Moreau
Ils sont les croisés du ségolénisme. Ils l'ont là, «chevillée au corps». Parce que c'est une femme. Parce que c'est elle. Parce qu'elle est la seule à avoir tout compris et à apporter les bonnes réponses. Sourire aux lèvres et larmes aux yeux, ils sont entrés en politique comme on entre en religion, troquant sur leurs pancartes le rouge de la révolte pour le violet épiscopal. Fervents applaudisseurs devant l'Eternelle, ces « charismatiques » avaient effrayé les vieux militants socialistes durant la campagne interne. Depuis janvier, les ségolâtres se bouchent les oreilles. Mais eux, c'est pour ne plus entendre le tombereau d'attaques machistes et de critiques vulgaires qui s'est abattu sur «Ségolène».
Fabrice, 32 ans, ne pouvait pas «saquer son côté jupe plissée» quand elle était au gouvernement Jospin. Mais un soir de juin 2004, il a vu «la Madone» à la télévision. Ségolène Royal, de blanc vêtue, venait d'arracher la région Poitou-Charentes à Raffarin. Depuis, il en «raffole».«Elle est habitée par un destin, elle est un peu mystique. Elle est une incarnation de Marianne et de la mère patrie. On a envie de la toucher. C'est plutôt rare pour un politique, non?»
Electeur de gauche depuis toujours, ce graphiste parisien, qui n'avait jamais milité auparavant, est ressorti d'un meeting de la candidate au gymnase Japy, à Paris en novembre, «aussi ému qu'après un concert». Fabrice lui a écrit une lettre et s'est concocté «une petite charte personnelle», pour se promettre de convertir au moins cinq personnes par semaine. La nuit, il rêve parfois qu'il lui rédige des discours ou lui prépare un programme de campagne. Il en rit. Mais n'allez pas le prendre pour une «groupie» ! Car s'il apprécie chez elle «sa beauté, son côté couillu, son humour et même ses maladresses», il s'est laissé convaincre pour des raisons de fond : «La démocratie participative, l'ordre juste, le donnant-donnant et même le coup du drapeau! Elle a compris que la gauche, ce n'était plus seulement le partage et «peace and love». Ceux qui l'ont taxée de populisme pendant sa phase d'écoute et de débats n'ont pas réalisé que beaucoup de gens ont pu se raccrocher à la politique grâce à elle.» Le mois dernier, quand sa favorite a décroché dans les sondages, Fabrice a eu peur. Mais depuis il a eu «un flash». Il sait qu'elle sera au second tour et croit même au miracle. «Vous verrez, si elle est élue, les gens seront superfiers. Ce sera bon pour la croissance, la France fera la une de tous les journaux!»
Matthieu Croissandeau Le Nouvel Observateur
Citation:les ségophobes de gauche :
Leur devise : « Ce n'est pas parce que c'est une femme »
Leur bête noire : Bernadette Soubirous
Leur people : Eric Besson
Il existe un bon moyen de repérer un ségophobe de gauche. Un ségophobe de gauche commence en général sadémonstration par : «Ce n'est pas parce que c'est une femme, au contraire», ou : «Je ne me permettrais pas de l'insulter...»
Il en existe un autre encore meilleur : toute personne de gauche, hormis le cercle de feu des inconditionnels, a été ségophobe au moins une fois pendant cette campagne. Chacun y est allé - à un moment ou l'autre - de sa détestation, microscopique ou abyssale, intellectuelle ou viscérale, personnelle ou politique, le temps fugitif d'une petite phrase ou pour tout un programme, irrémédiablement.
Maintenant, il s'agit de faire jouer le curseur. Les plus impitoyables avec la candidate Royal ont été les socialistes encartés, vedettes ou anonymes. Leur arme ? Le mépris, sur le ton de la confidence et lourd de sous-entendus. «Vous savez, nous, ça fait longtemps qu'on la connaît...», glisse cet élu local. L'ancien ministre Claude Allègre : «Elle n'a pas de pensée politique construite. » Ou l'ex-conseiller de campagne Eric Besson : «J'ai peur pour mes enfants si elle est élue.» Le déclencheur de leur revirement (définitif ou non), c'est Ségolène, disent-ils, et seulement elle. Marc-Antoine, fonctionnaire : «Je me sens autorisé à voter à droite, parce qu'elle m'insupporte : tout mais pas elle.»
Restent les autres, tous les autres. Il y a ceux qui ont détesté son enthousiasme pour le drapeau tricolore dans chaque foyer, sa proposition d'envoyer des militaires encadrer les banlieues, bref ce côté « demoiselle de la Légion d'Honneur » qui, en même temps, aurait bâclé ses devoirs et reste bouche bée, dès qu'on l'interroge sur le nombre de sous-marins nucléaires. Il y a ceux que ses voyages à l'étranger ont catastrophés, le côté «on a fait la Chine avec des amis, une formule trois-jours-deux-nuitées». Il y a ceux qui ont été horripilés par le baiser à un handicapé pendant une émission de TF1, cette gestuelle à la Bernadette Soubirous, le «mon peuple et moi, on va faire des miracles». Pour dire les choses rapidement : plus l'origine sociale est modeste, moins la critique est acerbe. Et attention, précise Mireille, professeur à Marseille, «ce n'est pas parce qu'on estségophobe qu'on ne va pas se résigner à voter Ségolène».
Et, pour être tout à fait franc, il faut reconnaître une autre chose. Parmi les électeurs de gauche, à un moment ou un autre de la campagne, tout le monde a aussi été ségophile, au moins une fois. Ou reste susceptible de le devenir : «Ce que je déteste encore plus que Ségolène, dit Antoine, chômeur, c'est lességophobes.»
Florence Aubenas Le Nouvel Observateur
Citation:les féministes anti-ségo :
Leur devise : « La femme politique est un homme comme les autres »
Leur bête noire : la Madone
Leur people : Angela Merkel
Elle est de gauche et féministe. «Mais Ségo, non, je ne peux pas!» Madeleine, 40 ans, assistante sociale et mère célibataire, n'a toujours pas digéré la photo de la parturiente Royal,posant nouveau-né dans les bras et dossiers étalés sur son lit, au lendemain de l'un de ses accouchements. «Elle a repris son travail deux jours après, bafouant tous les droits acquis. Ecoeurant!» Madeleine donnera sa voix à «Arlette»(«elle ne se la joue pas femme-femme, et pourtant elle a été la première candidate à l'Elysée»). Les féministes anti-Ségo n'ont pas toutes les mêmes indignations. Il y a celles qui, comme l'assistante sociale en colère, reprochent à la nouvelle icône «mi-Madone mi-wonderwoman» d'être une «mère impossible» et de «filer des complexes à toutes les génitrices débordées». Il y a celles qui, à l'inverse, l'accusent d'être «trop mère». «Royal veut materner la France», s'énerve Anne, 35 ans. Cette prof d'histoire «a lu tout Marcela Iacub» et, comme cette «féministe radicale et libertaire», elle vomit « Ségo la cruche » : «Cette gourde nous bassine avec l'écoute, l'ordre juste, la démocratie participative. Comme si une femme qui fait de la politique ne pouvait que jouer les infirmières.» Anne, qui votera Marie-George Buffet au premier tour («au moins, elle n'en fait pas des tonnes avec sa féminitude»), voudrait que, comme la religion ou la couleur, «le sexe ne soit pas un critère ou un étendard». Le sexe justement ! Le rapport que Mme Royal aurait à « la chose » fait frémir une troisième catégorie de féministes ségophobes. Celles qu'indisposent ses «fatwas contre le string ou la pornographie». Celles qui revendiquent d'être une « femme-objet » quand ça leur chante.
Bref, les raisons pour lesquelles les féministes anti-Ségo détestent la candidate PS sont les mêmes que celles qui suscitent l'enthousiasme des féministes pro-Ségo. La femme qui les réconciliera n'est pas encore née.
Marie-France Etchegoin Le Nouvel Observateur
Citation:les bayroutisés de gauche :
Leur devise : « Tout sauf Sarko »
Leur bête noire : les éléphants du PS
Leur people : Spartacus
Cette fois, c'est sûr, ils ont le plan B. B comme Bayrou le Béarnais qui met tout le monde d'accord. Ça fait tellement longtemps qu'ils cherchent une échappatoire à cette alternance qui n'en finit pas d'alterner. Troisième voie, nous voilà ! Ainsi Pascal, qui a toujours voté communiste au premier tour, et qui se prend à rêver de donner sa voix deux fois à l'homme du centre : une fois le 22 avril, la seconde le 6 mai, pour la victoire. «Parce qu'il permet de zapper les deux autres, qui sont effrayants de politique paillette.» Evidemment, les bayroutisés de gauche trouvent tous les défauts à Ségolène Royal : «pas fiable», «opportuniste », «nulle en français», «autoritaire », «populiste». Quel bonheur de s'affranchir, ça leur fait comme une transgression pas dangereuse !
Fabien et Stéphanie, 37 ans chacun, employés, elle dans une entreprise familiale de BTP, lui dans un bureau de graphisme, vivent avec leurs deux enfants dans la Marne. De Ségolène Royal, ils n'ont retenu que le smic à 1 500 euros qui les rendrait smicards à leur tour. Et de Nicolas Sarkozy, la certitude qu'avec son «travailler plus pour gagner plus on ne risque pas d'être augmentés de sitôt». Bref, aucun des deux ne les rassure, eux qui ont tant d'inquiétude. Comme si le chômage guettait, prêt à surgir à tout instant. Alors Bayrou, oui. Parce qu'il est «un peu des deux», qu'il «ne fait pas peur aux patrons» et que, surtout, «on a essayé tout le reste». «Bayrou, ça semble du bon sens pour les petits comme nous», dit Fabien.
L'union et non la stérile compétition des clans : des « petits » s'y retrouvent mais aussi des personnalités de la deuxième gauche, comme Jean Peyrelevade et une bande de hauts fonctionnaires clandestinement cachés derrière des pseudonymes historiques - Spartacus et les Gracques. Ils appellent au rassemblement des compétences pour transcender les «archaïsmes» qui bloquent le système français.
Souvent les bayroutisés de gauche n'ont qu'une priorité : que Nicolas Sarkozy ne soit pas président. C'est parce qu'elle était la mieux placée au PS contre lui qu'ils avaient soutenu la candidature de Ségolène Royal. C'est parce que Bayrou pourrait être un meilleur challenger contre l'ancien ministre de l'Intérieur qu'ils s'interrogent : et si ce n'était pas elle ? Ces électeurs sont des stratèges, pas question de se louper. Ils scrutent les enquêtes d'opinion comme d'autres cherchent la réponse dans les astres. «Si on me donne la preuve statistique qu'il est le mieux placé pour battre Sarkozy, alors oui, je voterai Bayrou, même si je suis profondément de gauche. Le candidat de l'UMP est bien trop excité pour être président, il serait dangereux», dit Gilles, qui prendra donc sa décision au «tout dernier moment, selon les derniers rapports de force». Gilles est expert-comptable.
Isabelle Monnin Le Nouvel Observateur
Citation:les bayrouvolutionnaires :
Leur devise : « C'est au centre que ça va péter »
Leur bête noire : le système
Leur people : Jean-François Kahn
Dans la famille « joueur de billard à plein de bandes », je demande le bayrouiste à visée révolutionnaire : pour péter le système, rien de mieux que le Béarnais. Le bayrouvolutionnaire est un électeur volatil, qui peut être passé de Laguiller au vote oui pour la Constitution européenne. «La démarche de Bayrou, éclater la gauche et la droite, me plaît beaucoup, savoure Joëlle, au chômage depuis deux ans. En même temps, on sait qu'il est capable de gouverner, il a déjà été ministre.» Ah, ça ira, ça ira ! Le tiers état des blogs invente la révolution responsable. La révolte à la papa, tranquillou. Que se passera-t-il après l'élection s'il est élu ? «C'est toujours à nous, les citoyens, de nous positionner par rapport aux partis. Là ça changera : à eux de répondre à notre demande et d'inventer des nouveaux partis politiques», sourit Marc, infirmier psychiatrique, convaincu que là est la solution au malaise français. Ces bayroutisés ne parlent même plus de gauche ou de droite, notions dépassées, ringardes. Ils se vivent comme l'avant-garde éclairée qui mènera la France à l'union nationale et à la modernité. Des sans-culottes du xxie siècle.
Isabelle Monnin Le Nouvel Observateur
Citation:les "lou ravi" du bayrouisme :
Leur devise : « Le tracteur est l'avenir de l'homme »
Leur bête noire : TF1
Leur people : Patrick Sébastien
Jacqueline et Michel, la cinquantaine, ont les yeux qui pétillent comme des gamins. C'est la première fois qu'ils viennent en meeting. Ils habitent à Montmorency, il dirige une PME, elle est secrétaire. Ce soir de mars, ils ont quitté plus tôt le travail pour venir jusqu'à Paris applaudir François. «C'est une chance extraordinaire qu'un homme comme lui se présente, dit Jacqueline. Il peut réconcilier la France.» Ils pensent que ça sera dur, mais qu'il «va tout déchirer», comme dit leur fils Thomas. Bayrou, l'homme providentiel, leur ressemble. Comme eux, il est un peu de tout. Un peu paysan, un peu diplômé, un peu de la ville, un peu de la campagne, un peu de gauche, un peu de droite. «Il me rappelle la IVe République de ma jeunesse»,rigole un autre spectateur, lui aussi transfuge de la gauche. Une petite madeleine au bon goût du MRP, ce parti démocrate-chrétien qui tenta après la guerre de dépasser le clivage gauche-droite mais fut grignoté peu à peu par le RPF gaulliste. De Gaulle, tiens ! Pour Michel, il n'y a pas d'autre héritier : «Bayrou est au-dessus des partis. Il trouvera une majorité s'il est élu. Comme de Gaulle en 1958.»
Isabelle Monnin Le Nouvel Observateur
Citation:les sarkoboys :
Leur devise : « La France d'après »
Leur bête noire : les bobos
Leur people : Jean Reno
A l'entrée de la « rave sarkozyste » au Zénith, le 18 mars dernier, la star, c'était elle. La banderole «le 93 préfère Sarkozy». 250 jeunes de Seine-Saint-Denis venus époumoner leur ferveur. «Ils sont payés ou quoi?», ricane un badaud. Venu de La Courneuve, Jean-Baptiste Borsani, 20 ans, a adhéré à l'UMP en novembre 2005, «à cause des émeutes». Le «plan Marshall pour les banlieues» promis par son candidat, il en défend l'idée jusque dans les cages d'escalier de la cité des 4 000. Parce que c'était lui, parce que c'était eux, les nouveaux sarkoboys ne ressemblent pas aux scouts habituels de l'UMP. Entre culte de l'énergie et hantise du déclassement, ils ont trouvé leur homme providentiel. «La gauche fait un sale boulot quand elle caricature Sarkozy en Mussolini pote de tout le CAC40, s'énerve un étudiant en cinéma devant les baffles du DJ Martin Solveig. Impossible de réussir en France sans être «fils de»... Il faut que tout explose, que chacun ait sa chance.» Cette droite « méritocratique », c'est celle dont se réclame également Fabien de Sans Nicolas, 29 ans, ex-caporal dans la marine, élu à la tête des Jeunes populaires de l'UMP fin 2005. Nul lignage aristo derrière ce patronyme, issu de l'orphelinat espagnol où avait été recueilli son arrière-grand-père. Un visage angélique et un phrasé d'aboyeur qui lui vaudront, ce dimanche-là, de chanter quelques strophes de « la Marseillaise » finale les yeux dans les yeux du boss.
Aude Lancelin Le Nouvel Observateur
Citation:les beurs sarkozystes :
Leur devise : « La France, tu l'aimes ou tu l'aimes »
Leur bête noire : SOS-Racisme
Leur people : Rachida Dati
Ils existent, ces jeunes rebeux qui ne votent pas Jamel. Ceux qui rêvent d'un fabuleux destin tricolore à la Rachida Dati, porte-parole de Nicolas Sarkozy. La Condoleezza Rice de l'équipe, devenue une égérie pour toute la « beurgeoisie » de droite. A 35 ans, Mustapha Mourahib marche sur ses traces. Fils d'un OS marocain, cet avocat d'affaires dans un cabinet parisien huppé envisage une carrière à l'UMP. Lui a grandi au Mans, municipalité communiste, et n'a pas digéré «l'instrumentalisation du racisme et de l'immigration par le PS des années 1980». Il votera Sarkozy, «le seul à avoir soulevé la question de la discrimination positive». Autre sort, même résolution, Sam Souibgui, chômeur de 33 ans, n'avait, lui, jusque-là jamais voté. Il y a neuf ans, sans diplôme, il tente sa chance au Canada, puis revient en France quand Sarkozy devient ministre de l'Intérieur. «Quelque chose bougeait, enfin...» Après 300 CV envoyés à des boîtes de marketing stratégique, et 6 réponses seulement - «toutes négatives» -, ce fils d'immigré tunisien attend tout d'une rupture libérale à l'anglo-saxonne. Le ministère de l'Identité nationale ? «Une prise en compte lucide des problèmes» qui ne le choque pas, s'excuse-t-il doucement. Aux dires de Salima et de Fathia, 24 ans, deux étudiantes voilées qui prennent régulièrement le RER de Cergy pour aller vibrer à ses meetings, le candidat de l'UMP serait même «le plus correct vis-à-vis des musulmans».
Aude Lancelin Le Nouvel Observateur
Citation:les chiracomaniaques :
Leur devise : « La Corrèze ne ment pas »
Leur bête noire : les traîtres
balladuro-sarkozystes
Leur people : Bernadette Chirac
Surtout, si vous voulez passer une nuit à Ussel, en Corrèze, choisissez l'hôtel des Gravades et ne manquez pas la chambre 19. Le patron, Raymond Fraysse, dit « Monmon », la fait visiter comme un monument historique. La chambre 19, c'est celle de «Monsieur Chirac», explique ce Corrézien à l'accent rauque. Monmon a fait la connaissance de l'actuel président de la République en 1966, un an avant son élection dans la circonscription. Ce jour-là, Raymond est entré en religion chiraquienne. «Pourtant, confie le septuagénaire, chez nous, on était socialiste. Quand on parlait de Jaurès, on pleurait. Et puis je L'ai rencontré.» Quarante ans d'amitiéininterrompue. L'aubergiste, fils de petit commerçant, est fier d'avoir «pissé à lamairie de Paris, à Matignon, puis à l'Elysée». Et il peut l'assurer : «Monsieur Chirac est plus de gauche que beaucoup de gens qui votent à gauche.» Puis il ajoute aussitôt : «Entre nous, on cause très peu politique.Vous le connaissez...» Genre : il aime bien les bonnes vieilles blagues un peu épaisses. Les chiracomaniaques vouent un culte à l'homme et s'intéressent peu à ses idées. Leur héros en a tellement changé. Reste la fidélité.Le seul vrai programme des «intégristes chiraquiens», selon l'écrivain Denis Tillinac, lui-même corrézien et admirateur du « Grand Jacques » : «Ce sont des rad-soc, des gars du terroir, du Salon de l'Agriculture et de la PAC. Le président de la République est leur parrain, le capitaine de la compagnie avec sa bande. Rien à voir avec les fidèles comme Jean-Louis Debré. Lui, il est gaulliste.» Bien sûr, depuis que leur idole a annoncé qu'il passait l'éponge, les chiracophiles se sentent orphelins.Ne parlez pas à Monmon de Sarkozy, ça l'énerve : «Il s'est beaucoup agité, il n'a rien fait.» Comment se reconnaître dans l'homme de Neuilly, du CAC 40 et de la jet-set ? Comment aimer un type qui ne boit que de l'eau et ne sait pas caresser les vaches ? Monmon votera pourtant du bout des doigts pour le candidat UMP. «Parce que Monsieur Chirac l'a demandé.»
A lire, pour comprendre les chiracophiles : « Sa garde du coeur. Jusqu'au bout... », par Karine Dessale, La Table ronde.
Martine Gilson Le Nouvel Observateur
Citation:les sarkozystes de gauche :
Leur devise : « De Mao à Hortefeux »
Leur bête noire : Mai-68
Leur people : Max Gallo
Ils savent bien qu'on les regarde comme des bêtes curieuses. « Sarkozystes de gauche », franchement ! L'un ou l'autre, ça court les rues. Mais les deux ensemble, ce ne serait pas un peu monstrueux par hasard, genre... aigle à deux têtes ou femme à barbe ? Eh bien non ! il convient de ne pas se moquer. Il paraît même que c'est très sérieux. C'est, disent-ils, «unoxymore», soit, selon la définition du Robert, «une figure qui consiste à allier deux mots de sens contradictoire pour leur donner plus de force expressive». Exemple : une douce violence. Application : sarkozyste de gauche.
Patrick Rajoelina, 52 ans, est l'un des premiers inventeurs de la chose. Il a été mao dans sa prime jeunesse, reste un fervent admirateur de la grande République populaire de Chine et du regretté Mao Tsé-toung, fut policier aux Renseignements généraux chargé des « communautés étrangères », puis encarté socialiste (rocardien, chevènementiste, gauche-socialiste), et membre de quelques cabinets ministériels socialistes, avant de faire trois petits tours dans celui d'Azouz Begag. Pour lui, Sarkozy est «le pont de la liberté qui permet de passer tranquillement, sereinement, d'une rive à l'autre». Bref, le seul «taillé pour briser les tabous et renverser la table». Avec quelques amis, anciens militants socialistes ou non, Rajoelina a fondé la Diagonale, «plus qu'un club et moins qu'un parti politique», qui se réunit de temps en temps aux Bains-Douches ou au Café de Flore, et c'est très chic. On y côtoie du beau linge, Marin Karmitz, Denis Olivennes, Richard Descoings ou Véronique Vasseur (qui, elle, n'a jamais été de gauche). Adhérents ou pas, ils font joli sur le programme. Leur rêve ? Allez, soyons fous : «décrocher» l'adhésion d'Eric Besson, la fine lame plantée dans le dos de Ségolène Royal. Il paraît qu'il n'y a plus qu'un petit effort à faire. Si Brice Hortefeux, «général en chef de la sarkozie», est le parrain du mouvement, il ne faut surtout pas y voir une petite récup de derrière les fagots. Il aurait d'abord trouvé l'idée «saugrenue», puis «très chouette», d'autant que son directeur de cabinet et l'un de ses conseillers techniques sont à la manoeuvre.
Ils seraient 2 000, magistrats, chefs d'entreprise, profs, médecins, à être séduits par leur nouveau grand homme... «Il y a tous les genres, et même des transsexuels», dit Patrick Rajoelina. C'est dire si les sarkozystes de gauche ont l'esprit large...
Agathe Logeart Le Nouvel Observateur
Citation:les beurs lepénistes :
Leur devise : « Tout foutre en l'air »
Leur bête noire : le Crif
Leur people : Dieudonné
Ce que c'est que la rage, et les conneries qu'elle vous fait faire, parfois ! C'est ainsi qu'Ahmed Moualek va voter Le Pen dans une quinzaine de jours. Ça le surprend presque - «franchement, le Front national, c'est pas mon truc» -, lui qui tonne contre le racisme «et tous ces gens bien propres sur eux pour qui Ahmed n'est pas français». Il va franchir le pas pourtant : «Le système est raciste, il faut le faire sauter. Le Pen, je me fous de savoir s'il est raciste ou non. C'est la société française tout entière qui nous met de côté. Avec le FN, on peut tout foutre en l'air. Ça me suffit.»
Son outing est récent, il date de l'automne. Moualek, c'est ce jeune quadra à l'air concentré qu'on voyait dans le sillage de Dieudonné le jour de la tournée du bouffon à la Fête des Bleu Blanc Rouge. Dieudo, son compagnon de route depuis que le comique a été mis à l'index pour judéo-obsession débordante. «Je ne supporte plus qu'on accuse les banlieues d'êtreantisémites, je ne supporte plus que le Crif donne des ordres aux politiques! Quand Dieudo a été persécuté, ça nous a rapprochés.»
Moualek et « Dieudo » sont allés ensemble à Beyrouth, l'été dernier. Ils y ont frayé avec l'ex-militant du GUD Frédéric Châtillon, passeur entre l'extrême-droite gauloise et le front du refus arabe. Le Pen était une suite logique. Ahmed Moualek l'a interrogé pour son site internet, labanlieuesexprime.com. Avant, il animait une émission de débats sur la très antisioniste Radio-Méditerranée. Avant encore, il aurait pu être footballeur s'il avait bossé un peu plus. La vie en a voulu autrement. Il découvre un monde politique qu'il ignorait, et Farid Smahi, le beur officiel du FN, et les accointances entre les frontistes et certains réseaux islamistes. Lui se veut laïque. Ahmed Moualek, de Bobigny, infographiste dans le Val-d'Oise, et électeur de Le Pen. Un combat qu'il sait douteux : «Le FN ne sera qu'un moment dans ma vie. J'aurais pu aussi suivre Bové, après tout...» Combien, comme lui, prêts à « foutre le feu » le 22 avril ?
Claude Askolovitch Le Nouvel Observateur
Citation:les homos du fn :
Leur devise : « Qu'il y ait des hommes qui s'aiment, après tout, pourquoi pas ? » (Jean-Marie Le Pen, juin 2004)
Leur bête noire : les « islamistes homophobes »
Leur people : Pim Fortuyn*
Il porte son homosexualité sans honte mais il préfère ne pas donner son nom, masquer son vrai prénom : «Dans le milieu homo, on sait qui je suis. Ça me suffit. Vous ne savez pas ce que c'est, dans de petits bleds, l'homosexualité, la haine que cela charrie...» On sait - ou on imagine -, mais il est rare d'entendre un lepéniste se plaindre de l'homophobie... Bernard est homo et frontiste. Déjà un mandat local et l'espoir de faire tomber un jour les «notables épuisés» qui tiennent la mairie de sa ville natale. C'est un frontiste typique, qui cogne la «gauche pourrie», la «droite vérolée», qui est entré en politique par détestation de cette immigration qui lui «volait» sa France. Mais homosexuel aussi, «cela n'a rien à voir». Un peu quand même. Parfois, dans son parti, il entend des choses horribles. Il respire mieux depuis la mise sous l'éteignoir des amis de Bernard Antony, tenants de l'ordre moral catho. Il soutient Marine la moderne, évidemment, et préfère se souvenir d'un Le Pen bonasse, défendant les «hommes qui s'aiment», que du soudard blaguant sur «les chapons» qu'on chasserait dans le Marais, le quartier gay de Paris.Parfois, un citoyen indigné vient au bureau du FN. «Je ne voterai pas pour vous, Bernard est une pédale.» Il laisse dire sans commenter. Frontiste et homosexuel, et alors. «On est plus que vous ne le pensez. Et des gays viennent nous voir parce qu'ils n'en peuvent plus de l'homophobie des cités. Le discours antihomo, vous l'entendez plus chez les beurs ou les islamistes que chez nous!» Lui, le défenseur des « gaulois » assiégés, dit s'être trouvé des amis immigrés, des beurs gays «qui n'osent pas dire la vérité chez eux». Ces Arabes-là, il le croit, votent pour lui au nom d'une affinité que les autres ne peuvent pas comprendre.
(*) Leader populiste néerlandais, homosexuel et propagandiste anti-islam, assassiné en 2002.
Claude Askolovitch Le Nouvel Observateur
Citation:la queue du mickey :
Le changement : voilà le thème gagnant. Mais quand on croit l’attraper, il vous file entre les doigts
Un politologue résume ainsi l’enjeu de cette présidentielle : elle n’oppose pas la droite à la gauche, mais les Français à leur classe politique. La formule est réductrice, elle n’est pas fausse. Voir l’enquête récente du très sérieux Centre d’Etude de la Vie politique française (1) : plus de 60% des Français ne font confiance ni à la gauche ni à la droite pour gouverner le pays. En majorité, ils pensent que le résultat de l’élection, quel qu’il soit, ne permettra pas d’améliorer la situation de la France. Autrement dit : le premier parti de France, ce n’est ni la gauche ni la droite, c’est le parti des pessimistes et des sceptiques. De ceux qui n’y croient plus. Qui voudraient changer la donne. Essayer « autre chose ».
Le phénomène, au demeurant, n’est pas nouveau. C’est même devenu une constante de la vie politique française : à chaque élection, les électeurs votent contre (six alternances depuis 1981). Contre le pouvoir en place ? Pas seulement ! Le 21 avril 2002, Lionel Jospin et Jacques Chirac, les représentants des deux formations qui dominent la vie politique
française depuis un demi-siècle, ne réunissaient, à eux deux, qu’un gros tiers des suffrages exprimés. Soit – si l’on tient compte des non-inscrits, des abstentions, des votes blancs et nuls – guère plus d’un citoyen français sur cinq !
Les candidats ont retenu la leçon et
mesuré les dangers de cette fracture démocratique. Cette année donc, la candidature se porte résolument anti-élites. Tous les postulants à l’Elysée entendent incarner le changement radical. Porter la parole des « vraies gens », des « sans-voix ». Rendre au peuple le pouvoir qu’on lui a confisqué. Que tous, y compris ceux qui postulent à l’Elysée, se présentent comme des candidats anti-système, c’est une première – et à notre connaissance une exclusivité mondiale. Les observateurs étrangers ne laissent pas d’être étonnés par cette étrange campagne où l’on voit le ci-devant ministre de l’Intérieur, président du parti majoritaire à l’Assemblée nationale, se poser en champion de la « rupture ». Où la candidate désignée par le PS n’a eu de cesse de « reprendre sa liberté » et de tenir à distance les hiérarques de son parti ; au point que lorsqu’elle croise sur une estrade le premier secrétaire – qui se trouve être son compagnon – cela fait événement. Où, enfin, un sans-culotte tractorisé, reniant ses alliés de trente ans, appelle sans rire à balayer les « forces de l’Ancien Régime ». La « révolution », quoi, mais… « paisible ». On respire.
Mais le propre du neuf est de ne pas le rester. En quête d’un président « vraiment » différent, les électeurs papillonnent autour des candidats. Les testent au jugé. S’entichent de l’un puis de l’autre. S’en lassent aussi vite. A peine en a-t-on fait le tour qu’ils paraissent déjà moins nouveaux, et leur attrait pâlit. C’est toute l’histoire de cette campagne, avec ses sondages en montagnes russes et ses indécis qui se déplacent en bancs : nous avons eu successivement un moment Sarkozy, quand le fils rebelle mimait le meurtre du père Chirac. Puis un moment Ségolène, lorsque la dame en blanc prit appui sur l’opinion pour décaniller les éléphants (« On a tout essayé sauf une femme », disait le philosophe Marcel Gauchet). Il y eut ensuite le quart d’heure Hulot (on a tout essayé sauf un écolo), les ides de Bayrou (on a tout essayé sauf l’union nationale). En attendant peut-être l’heure de Le Pen ou de Besancenot. Le thème du changement, c’est comme la queue du Mickey sur les manèges de fête foraine : chacun à son tour croit l’attraper. Quand on réussit à le toucher, il vous file entre les doigts.
(1)
www.cevipof.msh-paris.fr/bpf/barometre/bar0.htm.
Claude Weill Le Nouvel Observateur
Citation:les militants du vote blanc :
Leur devise : « Un électeur a le droit de ne pas choisir »
Leur bête noire : l'abstention
Leur people : M. Tout-le-Monde
Catherine, 53 ans, enseignante spécialisée pour les ados en «déficit intellectuel», cherche «sa place depuis qu'elle respire». En politique, elle ne l'a pas trouvée. Son père adoptif, chef d'entreprise, votait à droite. Son grand-père, franc-maçon, penchait pour la gauche. Alors, plus en réaction contre son père que par conviction, elle a, un moment, donné sa voix aux socialistes, puis en 2002 aux écolos et peut-être cette année à Besancenot ou à Bové. Bref «à quelqu'un qui n'a aucune chance d'être élu». Mais au second tour, comme à chaque fois, elle choisira le blanc. «Ce voteétait reconnu jusqu'à Louis Napoléon Bonaparte, qui l'a supprimé, dit-elle. Forcément, ce sont des voix qui dérangent.» Qui sont les partisans de l'incolore ? «C'est une population très composite qui peut aller de l'extrême-gauche à l'extrême-droite, explique Dominique Reynié, professeur à Sciences-Po. Pour les uns, il s'agit d'un vote par défaut. Les autres veulent exprimer une abstention civique.» Certains ont même créé un parti (1) qui milite pour la reconnaissance du bulletin immaculé dans les décomptes officiels. Ils ne veulent surtout pas être confondus avec les abstentionnistes. Pour eux, le vote est «sacré». Ils tiennent à participer au scrutin, à dire leur refus de choisir. Ce refus doit être reconnu, seule manière, selon eux, de rétablir la confiance entre l'élu et le citoyen. Et s'ils étaient des jusqu'au-boutistes de la démocratie ?
(1) Parti blanc.
Martine Gilson Le Nouvel Observateur