La grossophobie : un phénomène majeur
En France, près d’un Français sur deux est en surpoids et près de 15 % de la population est obèse. Pour toutes ces personnes, l’accès à l’espace public, au travail et aux soins est nettement plus compliqué que pour le reste des Français. Une grossophobie quotidienne dont les répercussions ne sont donc pas sans conséquence, tant sur le plan physiologique que psychique. La perception qu’ont les autres de soi, on le sait, joue beaucoup sur la confiance personnelle…
Qu’est-ce que la grossophobie ?
La grossophobie se traduit par un ensemble de comportements et attitudes clairement hostiles envers les personnes grosses, à qui l’on reproche leur poids. Insultes, moqueries, parfois même haine décomplexée, le tout normalisé par notre société. Mais ce n’est pas tout, la grossophobie a également des conséquences très concrètes dans la vie des personnes rondes, que ce soit au quotidien dans les transports, en matière d’accès à l’emploi, aux soins médicaux, à la vie sociale et la vie affective. Au même titre que le sexisme ou le racisme, la grossophobie, que l’on peut décrire comme un racisme anti-gros, est malheureusement bien souvent mise de côté par les cercles militants bien qu’elle stigmatise un pan important de la population. Heureusement, plusieurs voix s’élèvent désormais pour dénoncer ce fléau, comme l’auteur Gabrielle Deydié, auteur de « On ne naît pas grosse », ou encore la réalisatrice Daria Marx, qui livre un documentaire poignant : “Ma vie en gros”.
Les répercussions de la grossophobie quotidienne
Relations sociales et grossophobie
En France et dans la majorité des sociétés occidentales, la norme de référence demeure la minceur. Ceux qui s’en éloignent -fussent-ils près de la moitié de la population-, sont victimes de discriminations. Une stigmatisation avant tout sociale, qui là aussi vise de surcroît les femmes, plus que les hommes. « Dans les conventions sociales, on considère la beauté comme un “attribut féminin”. C’est par cet attribut qu’on valorise généralement les femmes, que ce soit sur le marché matrimonial ou au travail, avance le sociologue Jean-François Amadieu. La “grossophobie” concerne donc particulièrement les emplois en contact avec la clientèle, très féminisés, où l’employeur estime que la capacité à séduire est nécessaire pour bien faire son métier. »
Pour les hommes, de surcroît les femmes, en situation de surpoids avéré, parvenir à s’intégrer socialement est donc beaucoup plus difficile que pour des individus minces. Être gros constitue de fait une différence qui stigmatise dès l’enfance. Comme le fait d’être roux, trop petit ou trop grand, toute différence entraîne inexorablement son lot de remarques blessantes. Il en est de même pour les relations affectives, où là encore une grossophobie prédomine alors que paradoxalement, les hommes sont nombreux à admettre dans les sondages préférer les femmes rondes. Il n’en demeure pas moins que se mettre en couple avec une personne en surpoids, de surcroît obèse, peut entraîner de la part de l’entourage des réflexions qu’il faut être prêt à endurer. Des remarques désobligeantes qui ont également lieu dans une autre sphère essentielle de la vie quotidienne : le travail.
La grossophobie dans le monde du travail
Accessibilité limitée de certains postes, discriminations, harcèlement… Dans le monde du travail, la santé mentale comme physique des personnes rondes est largement mise en péril. La discrimination à l’embauche cible clairement les personnes en situation de surpoids, quel que soit le poste à pourvoir. Certains emplois sont toutefois plus vulnérables, comme les postes avec beaucoup de contact clientèle. Pour ce type d’emploi, nombreux sont les recruteurs à préférer embaucher une personne mince, qui donnera ainsi “une meilleure image” de la société, en accord avec ses valeurs. En effet, la grossophobie se basant sur de nombreux préjugés tels qu’“être gros c’est être fainéants”, les recruteurs, qu’ils soient conscients ou non de le faire, sont de fait plus sensibles à la candidature d’une personne mince, la minceur étant l’un des critères de beauté de notre société.
Dans leur manifeste, Daria Marx et Eva Perez-Bello – fondatrices de Gras Politique et autrices de Gros n’est pas un gros mot-, résument parfaitement bien ce phénomène : « Les stéréotypes grossophobes influencent la perception des candidat·e·s gros·ses : on trouve qu’ils ou elles présentent moins bien, sont moins dignes de confiance, manquent de volonté, d’énergie, ne résistent pas au stress ou à la pression, et se laissent aller. »
Ainsi, d’après une étude publiée en février 2016 par le Défenseur des droits et l’Organisation Internationale du Travail, intitulée “Le physique de l’emploi”, les femmes obèses sont 8 fois plus discriminées à cause de leur surpoids que les femmes présentant un IMC dans la norme. Les femmes en surpoids le sont 4 fois plus et les hommes gros, 3 fois plus. Une grossophobie qui semble donc aller de pair avec un sexisme ambiant.
Une grossophobie qui se traduit par des refus d’entretiens d’embauche à qualifications similaires, des remarques désobligeantes ou tout du moins maladroites de la part des collègues, ainsi que des médecins du travail ouvertement grossophobes.
La grossophobie n’a malheureusement pas que des conséquences sur le plan du travail, puisqu’elle tient également à l’écart les personnes grosses de la vie sociale en général. Et force est de constater qu’elle met à mal l’aspect psychologique chez chez ces personnes.
L’accès aux soins lorsque l’on est obèse
Être en surpoids, d’autant plus lorsque l’on est en situation d’obésité, entraîne un accès aux soins restreint, accompagné de remarques incessantes de la part des professionnels de la santé. En effet, présenter un IMC supérieur à 25 multiplie les risques de développer des maladies cardiovasculaires, vasculo cérébrales, des cancers et autres pathologies dont les conséquences peuvent être graves. Une situation que chaque personne en surpoids connaît parfaitement bien, tant les médecins ne cessent de le répéter. La grossophobie ne se manifeste pas dans le fait de dresser ce constat, mais dans la manière dont bien des professionnels de santé se conduisent avec leurs patients gros, leur conseillant bien souvent des actes de chirurgie bariatrique, lesquels sont particulièrement invasifs.
De plus, la plupart des machines permettant de réaliser les examens que doivent effectuer les personnes obèses, comme les scanners par exemple, ne sont pas adaptées à leur corpulence. Il n’est ainsi pas rare que les personnes en surpoids avéré doivent se rendre dans des cliniques vétérinaires pour effectuer un scanner grâce à une machine adaptée aux poids de certains animaux, ce qui est particulièrement humiliant. Il en est de même pour les ambulances et autres moyens de transport, pour la plupart inadaptés à la corpulence des personnes obèses. Notons également que cette exclusion se retrouve de fait dans la majorité des moyens de transport, où les sièges des voitures, trains et avions ne sont pas du tout adaptés aux personnes en surpoids, tout comme les fauteuils de cinéma, par exemple…
À cela s’ajoute le fait que les professionnels de la santé ne sont pas tous formés pour accompagner les personnes obèses dans leurs parcours de santé. En effet, l’obésité demande une prise en charge pluridisciplinaire, qui ne se cantonne pas à de simples recommandations diététiques. La grossophobie dans le milieu de la santé se traduit également par des préjugés pesant sur les personnes grosses, lesquelles seraient responsables de leur état et coûteraient cher à la Sécurité sociale. Autant d’idées préconçues qu’il convient de déconstruire en abordant le sujet de manière frontale et réaliste.
Comment lutter contre la grossophobie ?
La lutte contre la grossophobie passe en premier lieu par la libération de la parole, tout comme la lutte contre le sexisme et toute autre discrimination. Ces dernières années, plusieurs collectifs se sont ainsi constitués afin de porter haut et fort la parole des personnes en surpoids. De nombreuses femmes prennent également la plume pour raconter leurs expériences personnelles et collectives dans des livres dont le succès n’est plus à démontrer. En 2018, le journal Libération consacrait ainsi sa Une à Daria Marx et Eva Perez-Bello, fondatrices du collectif Gras Politique et auteurs du livre « Gros n’est pas un gros mot » (Librio).
La télévision également sert de média à grande portée dans la lutte contre la grossophobie, en témoigne le documentaire “Daria Marx : ma vie en gros”, diffusé mardi 25 février 2020 à 22h40 sur France 2. Dans ce documentaire les réalisatrices Stéphanie Chevrier et Marie-Christine Gambart donnent la parole à Daria Marx, mais aussi à plusieurs autres personnes obèses, qui témoignent ainsi de leurs difficultés quotidiennes. La lutte contre la grossophobie ne pourra porter ses fruits que grâce au travail essentiel de déconstruction des préjugés et de témoignages décomplexés, qu’entreprennent chaque jour des militantes et militants courageux, anonymes comme reconnus.
La diversité physique des personnes présentes dans les médias est notamment très importante, bien que cela ne dépende pas des pouvoirs publics. Ces derniers doivent insister sur le fait qu’il ne suffit pas de “bien manger” et faire du sport pour éviter l’obésité. De plus, les régimes ne constituent pas toujours la solution miracle. Les pouvoirs publics doivent également former les futurs médecins et acteurs de la santé à plus de bienveillance et d’écoute envers leurs patients obèses, afin de ne pas accentuer leurs problèmes de santé en les faisant fuir.