Avant de poster mon hyper long message, je voudrais vraiment vous remercier pour partager sur ce sujet comme vous le faîtes. Vous allez voir, ça me fait penser à plein de choses. Ca m'apporte des choses et ça me fait du bien d'en parler posément, avec des personnes aussi qui sont dans une réflexion personnelle par rapport à cela (par rapport à d'autres qui n'auraient entendu parler de cela que depuis leur poste de télévision ou de leur voisin opéré), alors merci.
reinette81 a écrit:Je vois une sorte de dualité dans l'intervention bariatrique. D'un côté une facilité et de l'autre une grande violence qui sera vécue au quotidien (ce qui n'est pas facile).
Je m'explique... je trouve qu'il y a un côté très infantilisant à cette chirurgie. Au final c'est une intervention extérieure qui va nous limiter avec l'alimentation. C'est remettre à autrui la responsabilité de son alimentation, se décharger d'une partie des décisions en faisant intervenir un acte extérieur (pour ne plus à avoir à le faire de l'intérieur). Et puis ce truc de manger des bouillies, des quantités comme des enfants, ré apprendre les sensations de base, je trouve cela très proche des enfants en phase de diversification alimentaire (surtout quand je vois les petits bouts autour de moi qui y sont). Alors ça ça me bloque beaucoup cette infantilisation que je perçois comme une facilité.
Mais d'un autre côté il y a justement toute la souffrance et les frustrations qui vont avec cette décision. Et pas que au moment de l'opé, c'est à vie. Ça ce n'est pas une solution de facilité, ou alors j'ai rien compris à la facilité, c'est au contraire une décision sacrément courageuse que de renoncer à vie à une alimentation "normale".
Remettre son alimentation à autrui pour moi correspondrait plus à suivre des comportements alimentaires dictés ou à manger de façon très influencée par rapport aux situations sociales.
Je perçois plus ce côté de donner à l'autre une place qu'il n'aurait pas forcément eu dans les réticences à l'idée d'intrusion corporelle qu'une chirurgie représente pour moi, et c'est là que ce situe plus mon vécu de violence. Mais dans l'après, les conséquences de l'intervention, j'envisage (de l'extérieur puisque je ne le vis pas) les sensations alimentaires comme générées par mon corps et pas par quelqu'un d'autre. Mais je le vivrais peut être ainsi, je n'en sais rien.
La notion de "responsabilité de son alimentation" m'interpelle pas mal. Je vais laisser ça mûrir par rapport à ce que tu en as dit.
Dans mon idée, il y a une appropriation de quelque chose ou non: les sensations alimentaires (qu'elles proviennent ou non d'un changement somatique n'élude pas cela).
Je crois que je vois plus quelque chose du côté de la maladie et du soin et que quelque chose qui tournerait autour de l'infantile et de l'adulte. En revanche je perçois un lien étroit entre l'état d'enfant et celui de malade: on est dans une situation de dépendance relative plus ou moins confortable ou éprouvante.
En dehors ça, la dimension infantile de ma personne adulte me paraît assez naturelle et familière, sur pas mal de plans, et je n'y vois pas vraiment de facilité ou de contrainte, juste quelque chose qui est là. Je pense que le vécu de dépendance est plus celui qui me dérangerait : dépendre de la compétence du chirurgien, dépendre de quelqu'un si en post-opératoire je suis trop faible, etc.
Pour le renoncement à une alimentation "normale", je me demande à quoi je renoncerais car la mienne n'est pas une alimentation régulée de façon souple entre les sensations, les émotions, l'environnement, si c'est ce qu'on pourrait qualifier de "normal" et de souhaitable. Je me dis que s'il y a quelque chose à renoncer, c'est à une alimentation principalement émotionnelle (manger au delà de sa satiété par réconfort ou pour un événement social par exemple). Mais on l'a déjà évoqué, l'opération n'empêche pas ça car on peut s'accommoder de tout. Renoncer à cette alimentation principalement émotionnelle me ferait peur si elle était vraiment continue. Je ne sais pas comment je réagirais si je passais du jour au lendemain à une alimentation purement sensorielle. Mais je doute qu'elle soit continue et j'aurais plutôt peur de moi dans le sens de détourner les limites somatiques et l'intérêt de la chirurgie. Quelque part, pour moi, la chirurgie, à terme, ne change rien à la qualité de la régulation, elle en favorise juste le facteur (physique) sur les premiers temps. Ce serait, pour le coup, peut être plus "simple" si c'était tout le temps ainsi. Je me dis qu'en revanche ça peut aussi être possible que ces premiers temps aident à travailler certaines choses, comme parfois les restrictions peuvent soutenir quelqu'un dans la réappropriation de certaines sensations. La question cruciale restant toujours le "et après ?".
En fait je réalise que j'associe beaucoup plus la démarche de la chirurgie comme une façon d'agir sur mon obésité que sur mon alimentation, même si cette dernière en est le vecteur. J'entends par là que ce qui me fait penser à la chirurgie ce sont les bénéfices suivants: arrêter de grossir, préserver autant que faire se peut mes articulations et prévenir les difficultés que je rencontrerai en vieillissant qui seraient majorées par une obésité chronique très sévère. En bref: être moins lourde sans retomber dans la spirale du régime/yoyo/grossir. J'ai l'impression que la régulation de l'alimentation reste totalement à faire avant pendant et après.
Faustine83 a écrit:Aujourd'hui je n'envisage pas de chirurgie même si je pourrais y prétendre. J'ai encore beaucoup d'appréhension vis à vis de l'opération en elle même et c'est rajouter à cela la peur de ne plus me reconnaitre après. La peur aussi d'avoir un corps trop amoché par une perte que je ne pourrais contrôlée.
Je dis pas qu'un jour je n'y penserai pas, mais pour l'instant non. Par contre je sais que si un jour je l'envisage je le ferais dans l'optique de respecter mes sensations et mon corps.
Je me pose aussi la question du risque physique que la chirurgie entraîne, sur un plan médical et sur un plan de l'image de mon corps. J'ai vu une nageuse avec la peau "vide" qui était très visible du fait du mouvement et de l'action de l'eau sur son corps, cela m'a interpellé : serais-je encore capable d'être à l'aise dans mon corps comme aujourd'hui avec ces changements ? Après réflexion je pense que ça serait possible. Mais pour le plan médical c'est différent encore, j'aurais peur de vraiment beaucoup souffrir si j'avais des complications importantes qui nécessitent un suivi étroit voire des hospitalisations.
Mellyne a écrit:Pour moi, avoir recours à une opération aurait été signer mon échec, avouer ma défaite, être d'accord avec une reddition sans condition. Pendant des années, j'ai mené une guerre contre mon corps, contre moi-même. Je voulais le changer, j'étais persuadée qu'il m'était possible de le conformer à une image extérieure de ce que j'aurais voulu qu'il soit. Dans ma tête, la chirurgie équivalait à abandonner le terrain de bataille, et à remettre ce contrôle tant désiré entre des mains extérieures. On pourrait y voir une fierté mal placée en quelque sorte. Je n'aurais jamais pu faire la paix avec un corps "mince" suite à une chirurgie, j'aurais fait partie des échecs.
C'est aussi pour ça que la RA m'a séduite, il s'agissait de faire la paix et de sortir de ce conflit interne par le haut.
C'est très parlant ce que tu dis pour moi, mais dans un sens relativement différent (mais peut être juste l'autre facette du même truc). Je ressens une vraie tristesse à l'idée de me faire opérer et d'investir le temps et l'énergie nécessaire à cela. Pas parce que je voulais obtenir les bénéfices de l'opération toute seule à tout prix (le "comme une grande" me vient et fait écho à l'opposition enfant/adulte de Reinette tiens). Mais parce que j'ai passé déjà ma vie à investir de l'énergie contre mon corps puis à investir mon corps agréablement. Et là, le sentiment de désillusion c'est celui du: ça ne suffit pas, qui fait écho au "je ne suffis pas" ressenti quand on m'a dit enfant qu'il fallait que je maigrisse parce que je n'étais pas bien comme ça.
Je me dis aussi que pour tolérer et m’accommoder de tous les contraintes que l'obésité a généré et dont je ne me rends plus compte que partiellement je pense, il a bien fallu que je me porte, que je me soutienne, que je m'investisse comme obèse-et-capable-de-l'être, capable de vivre, d'aimer, de travailler, de jouir de la vie, de mon corps, etc. Et plus c'est dur, plus cet investissement est fort je crois. J'en suis arrivée à un moment où je pense que je vivrais toujours ainsi, au moment où je ne crois plus que je puisse perdre réellement du poids en quantité. Et c'est maintenant quelque chose de cela que je dois déconstruire, désinvestir, remobiliser, avec le sentiment d'intérioriser et de finir par "céder" à une idée que j'ai d'abord vécu comme une injonction extérieure, enfant : il faut que tu maigrisses pour être mieux. C'est complexe et ambivalent, mais je sens qu'une part de moi est super triste pour la grosse que je suis qui après tout ce temps et cette énergie a réussi contre tant de difficultés à être bien, et qui constate que ce n'est pas suffisant. Il y a forcément une part de mon obésité que j'ai dû très fortement investir pour pouvoir la tolérer et vivre avec. J'arrive à percevoir que de penser à changer cela me fait vivre de l'espoir (pour les bénéfices sur le long terme) mais aussi de la tristesse. Je crois qu'une VLRienne blueblerrycat avait dit quelque chose comme ça: "n'avoir laissé aucune chance à la grosse que j'étais".
Je ne sais pas si j'arrive à l'exprimer clairement car je suis en train de le vivre et que j'ai encore du mal à mettre en mots tout ce que je ressens.
sirelle a écrit:Je reviens à ce post qui "travaille" en moi. Il se passe pas mal de choses dans mon corps, en lien avec la préménopause entre autre. Tout ça remue.
Autour de moi il y a plusieurs personnes opérées de selle et by pass. Différentes expériences et différents vécus au fil des ans. Je les vois, les côtoie, l'été en maillot à la piscine, lors des fêtes de famille. Au départ j'enviais certaines personnes mais plus le temps passe moins c'est le cas.
Une des choses qui m'effraie dans ces opérations c'est en plein avec la déformation du corps. Perdre 15 -20 kilos je l'ai fait souvent dans ma vie je "vois" à quoi ça peut correspondre. Mais là j'en ai 40 de plus que quand j'ai commencé les régimes. Je me suis habituée à ce corps, je le vis bien, j'aime bouger, marcher danser, je me plie sans effort je me sens souple. Bien sur je lui trouve plein de défauts mais disons en gros pour le moment je ne le sens pas candidat à une quelconque chirurgie. Je vis mal l'idée des déformations sachant que la chirurgie derrière ne sera pas remboursée.
C'est en lien aussi avec mon métier. Je vois des corps nus vieillissant et malades tous les jours et beaucoup de corps qui souffrent du surpoids, du diabète de l'hypertension les apnées, les hanches artificielles les genoux qu'il faut remplacer. Faire une toilette intime à une personne dont le tablier ventral s'est effondré il y a des années, qui ne peut plus bouger, sortir de son lit, se nettoyer seule après avoir été à selles.....et encore je ne dis pas le pire de ce que je vis......
Bref tout cela m'amène à me dire que non pas pour moi aujourd'hui mais porte ouverte à ce soin si mon corps devait en avoir besoin pour continuer à vivre en bonne santé.
Les opérations à mon sens c'est sacrifier un bout de santé pour un plus de santé derrière.
[...] Je crois que la chirurgie mobilise pas mal de vécus archaïque du corps, de son vieillissement,de ses entrailles ses mystères. Et avoir le temps d'y penser, d'y réfléchir, de ressentir tout cela est très précieux.
Il y a aussi dans l'op pour moi un truc de renoncer à une forme de toute puissance du corps soigné "naturellement" qui se suffirait à lui même pour obtenir une aide extérieure qui va se présenter à travers une mutilation "pour le plus grand bien". Comme l'amputation d'un membre gangréné.......
J'ai perdu un rein, il a été ôté il ne fonctionnait plus qu'à 10-15 % et causait plus de dégâts à lôrganisme que d'aide au filtrage. C'est arrivé par une succession de soucis de santé. Et c'était bien de le faire. Au bon moment.
Je ne sais pas pourquoi mais lire ton message m'a particulièrement touché. Peut-être parce que tu m'inspires quelque chose auquel j'aspire (la tranquillité alimentaire) ou parce que tu évoques précisément ce qui me motive: les effets de l'âge sur ce qui aujourd'hui est supportable. Ou alors, cette parole assez rassurante sur le "il y a un bon moment" qui permet de se dire aussi "ce n'est pas encore là, mais ça peut remuer quand même".
Je suis bien d'accord sur les vécus archaïques du corps auxquels ça peut renvoyer, car c'est quand même impressionnant de voir à quel point on oscille entre des notions d'idéal (ça fait rêver, ça donne envie, c'est spectaculaire, etc, très porté par le discours médiatique) et des notions de violence (alors que bon,c 'est une chirurgie, un acte contrôlé et médical et pas la décharge pulsionnelle d'une personne contre soi ou de soi-même contre soi; pourtant c'est très présent).
La notion de toute puissance me paraît très présente effectivement, pour moi c'est à ça que se heurte si fort le vécu de dépendance relatif qu'on peut ressentir en acceptant de s'inscrire dans un protocole aussi engageant qu'une chirurgie. Et aussi c'est à cette sorte de puissance que se heurte mon vécu d'acceptation: ça ne suffit pas, je ne suis pas assez forte pour être suffisamment bien/tranquille pour l'avenir alors que je me sens mieux que je n'ai jamais été.
Sur l'acceptation des déformations, je l'ai dit, ça me semble accessible, moins difficilement si je n'ai pas de douleurs. Mais ça me paraît être une épreuve à laquelle me préparer.
Après je me dis aussi que ce ne sera de toute façon pas un engagement uniquement motivé rationnellement, de la même façon que mon refus jusque là l'était plus par mes émotions et que par mon état médical strict.