Allez, je me colle au 1er §:
"Quand on est jeune, il ne faut pas hésiter à s’adonner à la philosophie, et quand on est vieux il
ne faut pas se lasser d’en poursuivre l’étude. Car personne ne peut soutenir qu’il est trop jeune ou trop
vieux pour acquérir la santé de l’âme. Celui qui prétendrait que l’heure de philosopher n’est pas
encore venue ou qu’elle est déjà passée, ressemblerait à celui qui dirait que l’heure n’est pas encore
arrivée d’être heureux ou qu’elle est déjà passée. Il faut donc que le jeune homme aussi bien que le
vieillard cultivent la philosophie : celui-ci pour qu’il se sente rajeunir au souvenir des biens que la
fortune lui a accordée dans le passé, celui-là pour être, malgré sa jeunesse, aussi intrépide en face de
l’avenir qu’un homme avancé en âge. Il convient ainsi de s’appliquer assidûment à tout ce qui peut
nous procurer la félicité, s’il est vrai que quand elle est en notre possession nous avons tout ce que
nous pouvons avoir, et que quand elle nous manque nous faisons tout pour l’obtenir. Tâche, par
conséquent, de mettre à profit et d’appliquer les enseignements que je n’ai cessé de t’adresser, en te
pénétrant de l’idée que ce sont là des principes nécessaires pour vivre comme il faut."
La proposition selon laquelle il est toujours l'heure de philosopher est assez iconoclaste, face à l'opinion qui veut qu'à 20 ans on "s'amuse" et qu'à 60 et plus on est trop vieux pour s'occuper de ces conneries. Epicure se fiche aussi probablement de Platon, pour qui en gros on est un bébé en termes de sagesse jusqu'à au moins 50 ans.
Par ailleurs, il entend qch de bien spécifique par philosophie: la santé de l'âme ou bonheur. L'enjeu n'est pas ici théorique mais très pratique: comment s'assurer la vie la plus heureuse possible? Et la métaphore médicale qui sera filée dans toute la lettre est présente dès les premiers mots.
La santé suppose des maladies, il y a donc des maladies qui nous empêchent d'être heureux et il faudra déterminer lesquelles.
Cependant le jeune et le vieux ne sont pas dans des situations identiques et ne vont pas retirer la même chose de cet exercice: "celui-ci pour qu’il se sente rajeunir au souvenir des biens que la fortune lui a accordée [coquille: accordés] dans le passé, celui-là pour être, malgré sa jeunesse, aussi intrépide en face de l’avenir qu’un homme avancé en âge". C'est pas si simple cette phrase, autant le jeune va gagner en "intrépidité" (ce qui suppose de ne pas craindre qch que les autres craignent), autant on a du mal à comprendre ce que le vieillard va y gagner ("rajeunir au souvenir des biens passés"????). Comment vous comprenez cette phrase? la philosophie nourrirait la nostalgie? augmenterait la mémoire?
Sur la conclusion de cette introduction: "quand elle (la félicité) est en notre possession nous avons tout ce que nous pouvons avoir"... La philosophie comme méthode du bonheur, mais méthode vide pour le moment... puisqu'on ne sait pas ce qu'il faut faire pour atteindre cette félicité, de surcroît elle a un sens différent pour chacun de nous (être riche, avoir du succès, fonder une famille, être mince, que sais-je)...
C'est un texte très "vendeur": z'allez voir ce que z'allez voir ma brave dame, elle est belle ma méthode, prenez-en deux kilos, si vous choisissez ma méthode vous n'aurez pas un peu, vous n'aurez pas beaucoup, vous aurez TOUT! Car le bonheur n'est-il pas tout ce qu'un homme recherche? qui serait assez fou pour rechercher le malheur ou la souffrance? La promesse est immense, voire grandiloquente, mais traditionnelle dans l'Antiquité où la valeur suprême pour un philosophe est le "souci de son âme". Comment au mieux prendre soin de la partie la plus noble en moi? en vivant seul ou en société? en recherchant l'ascèse ou le plaisir? etc. La question de la définition de la "nature humaine" (pour le dire en termes modernes) est fondamentale car, une fois cette nature déterminée, il faut vivre le plus possible en conformité avec elle.