UN ACCESSOIRE DE PUERICULTURE POTENTIELLEMENT DANGEREUX ...
Résumé de thèse du Docteur Jarny, article paru dans Le Pédiatre n° 187
Revue de la littérature et étude prospective sur l’usage du trotteur dans la ville de Lyon, auprès de 500 mamans ayant un enfant âgé de 11 à 25 mois, réalisée entre mars et août 2000.
Les premières traces de trotteur remontent au milieu du XVIIème siècle. Il était alors utilisé dans le but de permettre aux enfants de se mouvoir avant de savoir marcher. C'est dans les années 1960-70 qu'il est devenu un objet commun dans les foyers anglo-saxons et dès lors sa popularité n'a cessé d'augmenter, notamment dans ces pays.
Son taux d'utilisation est variable d'un pays à l'autre, entre 42 et 92% selon diverses publications (26), de même que son image de marque et les motivations de son usage. Pour comprendre l’engouement pour cet accessoire, quelques rares études nous révèlent que la décision parentale d'utiliser un trotteur n'est pas affectée par l'éducation ni le niveau scolaire ou la race des mères, ni par le rang de naissance ou le sexe de l'enfant (4). Certains parents pensent qu'il accélère l'acquisition de la marche (13 à 72%), d'autres le trouvent commode (9 à 34%); libérant les bras des mamans, il leur permet d'exécuter les tâches ménagères. Certains cherchent à amuser leur enfant (11 à 26%) ou encore à lui offrir une certaine liberté (2%). Enfin il parait sécurisant à de nombreux parents (33 à 66°/0).
Pourtant des études médicales ont prouvé qu'il était néfaste pour le développement locomoteur du nourrisson (27). Et de nombreuses publications médicales et/ou statistiques, dès le milieu des années 1960 (16), montrent des taux d'accidents élevés, spécifiquement dus à la pratique du trotteur. L'acquisition de la marche n'est pas accélérée par l'usage du trotteur et elle peut même être très retardée en cas d'utilisation intensive et/ou trop précoce (82). En effet il ne fait pas participer les mêmes muscles par rapport aux enfants qui ne l'utilisent pas (50), et il retarde l'acquisition du ramper en cas d'usage intensif, c'est à dire deux heures et plus quotidiennement (27). Dans une étude à Singapour, un peu plus de 10% des enfants pratiquant le trotteur présentaient un retard du développement moteur en l'absence de toute pathologie associée (92). Ces effets néfastes sont caricaturaux chez les enfants atteints de paralysie cérébrale spastique. Ainsi le réflexe primitif d'appui sur la pointe des pieds perdure, l'acquisition des réactions d'équilibre ne se fait pas, et les séquelles défavorables de cette paralysie se développent. (40).
Le risque d'accident est plus élevé chez le jeune enfant qui sait marcher. Le trotteur procure au nourrisson une certaine liberté de déplacement et des capacités qu'il acquiert généralement plus tard, au cours de son développement psychomoteur. Qu’il ne peut donc maîtriser encore. Mais d'autres raisons expliquent les accidents. Le défaut de surveillance y participe, si bref soit il (répondre au téléphone, aller ouvrir à quelqu'un qui sonne à la porte...). La vitesse en trotteur, atteignant parfois 10 km/h, est impliquée dans de nombreux accidents qui se produisent en quelques secondes, souvent malgré la présence d'un adulte, qui bien qu'étant dans la même pièce, n'a pas eu le temps de réagir. Enfin la sécurisation du domicile est indispensable, surtout en présence d'escaliers (installer une barrière de sécurité!). Les accidents, qu'ils soient domestiques ou en trotteur, se produisent le plus souvent dans le salon ou la salle à manger, mais les plus graves se déroulent dans la cuisine et les escaliers (77).
Alors quels sont ces accidents? (14)
? Les chutes, tout d'abord. Elles sont fréquentes dans les escaliers et pourvoyeuses des lésions les plus graves, principalement des traumatismes crâniens et accessoirement des fractures des membres. On a recensé 4 décès par noyade suite à une chute dans une piscine ou une baignoire.
? Les renversements sont dus à l'arrêt brutal du trotteur par un obstacle. Il peut s'agir d'un tapis, du seuil de porte. D’une petite marche. Ou bien d'un objet laissé sur le sol...
? En percutant un petit meuble avec son trotteur, l'enfant peut faire tomber un objet qui se trouve dessus (un vase par exemple). En tirant un tiroir, une nappe, des cordons électriques (fer à repasser, théière...) ou bien en attrapant des queues de casseroles qui dépassent, l'enfant est victime de traumatismes crâniens et de brûlures.
? Pour les brûlures, trois mécanismes ont été identifiés(6).Le contact direct avec le feu (par bascule dans une cheminée à foyer ouvert), le contact avec des surfaces chaudes, parfois prolongé si l'enfant ne se déplace qu'à reculons et reste bloqué contre cette surface (porte de four, insert cheminée, radiateur, poêle...), et l'ébouillantement, qui est de loin le plus fréquent. La chute de liquide chaud entraîne des brûlures des mains et de la tête, la stagnation du liquide au fond de la nacelle, dont l'enfant ne peut se dégager seul, augmente le temps de contact et donc la profondeur des lésions.
? Les traumatismes crâniens, nous l'avons vu, résultent principalement des chutes en escaliers, des renversements du trotteur, ainsi que des chutes d'objets. Ils se produisent aussi lorsque le bébé se cogne la tête en passant sous une table. Ou quand il heurte un mur ou un meuble.
? Les pincements de doigts résultent de la facilité d'accès aux tiroirs et aux portes, encore que cela soit plus ou moins facile selon la largeur du trotteur. L'enfant peut aussi se coincer les doigts dans la structure du trotteur, bien que les normes actuelles ne le permettent pas.
? Les autres accidents consistent essentiellement en des ingestions d'objets ou de plantes, provoquant une suffocation en cas de fausse route (4 décès) et des intoxications dont le trotteur est le premier facteur associé chez les nourrissons de moins de 8 mois (35). Nous notons aussi les griffures et morsures d'animal domestique et de façon plus anecdotique un cas de fracture de fatigue bilatérale des péronés (80).
Les blessures sont souvent bénignes et les parents n'amènent pas l'enfant en consultation. Ainsi aux USA, il y a environ. 25.000 enfants par an qui consultent aux urgences des hôpitaux suite à un accident en trotteur et le nombre d'accidents total est estimé 250.000/an (20). Ces blessures sont variées: contusions, lacérations, plaies, évulsion dentaire, épistaxis, fractures des membres, brûlures... Ce sont les traumatismes crâniens les plus fréquents, majoritairement bénins, mais parfois compliqués par un hématome sous dural, des fractures cervicales et/ou crâniennes, une hémorragie intracrânienne, et/ou rétinienne (29). Leurs séquelles potentielles sont représentées par l'épilepsie (55), les atteintes visuelles telles l'hémianopsie, l'amblyopie (53), et un cas publié de diplégie-ataxie persistante après exérèse chirurgicale d'un hématome sous dural chronique. Pour la même tranche d'âge, les brûlures sont plus nombreuses et plus sévères chez les utilisateurs de trotteurs (15). Elles sont parfois graves et peuvent laisser des séquelles motrices du fait d'amputation, de doigts par exemple, ou de rétractions tendineuses et des séquelles esthétiques ainsi que psychiques.
Néanmoins les traumatismes crâniens les plus graves doivent alerter le médecin (5). Ainsi en présence d'un syndrome de Terson qui associe hémorragies intracrâniennes et rétiniennes, il faut avant tout suspecter un "syndrome de l'enfant secoué " où ce type de lésions est beaucoup plus fréquent. En effet la maltraitance existe dans tous les pays, quel que soit la classe sociale, et il faut se méfier des cas, déguisés en "accidents de trotteur". Ainsi en l'absence d'adéquation entre les constatations cliniques et l'histoire de l'accident racontée par les parents, en présence de lésions multiples et sévères, en cas de lésion sévère de localisation inhabituelle au cours d'un accident en trotteur - dans lequel le tronc et les membres inférieurs sont relativement protégés -tout praticien se doit de porter une attention particulière à l'examen clinique de l'enfant, et de requérir si besoin d'autres avis médico-sociaux, afin de déclencher ou non un signalement pour mauvais traitement sur mineur (80)
Mais il ne suffit pas de répertorier ces accidents, et il est nécessaire surtout de savoir comment les prévenir. Il existe pour cela des normes de sécurité concernant te trotteur. En France c'est la norme NF S 54-008 de l'AFNOR (Association Française de Normalisation) qui prévaut, en attendant la nouvelle norme européenne qui est en cours d'élaboration. Mais la labélisation NF résulte d'une démarche volontaire de la part du fabriquant et à ce jour aucun fabriquant de trotteur n'a fait cette démarche. Donc aucun des trotteurs estampillés "conforme à la NF S 54-008" n'a la certification "NF puériculture'"! Des contrôles d'organisations de consommateurs ont montré qu'aucune norme n'est respectée à la lettre. De plus, malgré tous les progrès techniques ingéniés à ce jour pour le trotteur, dont les derniers en date sont l'ajout de freins qui s'avèrent plus sécurisants qu'efficaces, et le limiteur de vitesse à 3.6 km/h, il existe toujours des risques non négligeables d'accidents comme le montrent les statistiques les plus récentes (36).
Le trotteur procurant à l'enfant une grande mobilité, responsable de nombreux accidents, parfois graves, une autre solution consiste à lui préférer une base statique. A ce jour il en existe deux sortes. L'une avec une nacelle pivotant à 360° au centre d'un plateau muni de jeux, l'autre avec une nacelle au-dessus d'un tapis roulant, qui entretien la fausse impression auprès des parents que leur enfant pourra marcher plus tôt et avec laquelle il faudra probablement s'attendre aux mêmes conséquences sur le développement locomoteur qu'avec le trotteur en cas d'usage excessif. Autre solution; promouvoir la sécurisation du domicile, avec tous les systèmes de sécurité existants, tels que barrière d'escaliers, portes de four isothermes, systèmes de retenue des tiroirs, etc... Puis - et là nous avons beaucoup de retard en France - faire accepter et appliquer les consignes de sécurité par les parents.
D'où l'idée de réaliser des campagnes de prévention. D'abord pour démystifier les prétendus avantages du trotteur sur sa sécurité et sa facilitation de l'apprentissage de la marche, ensuite pour lutter contre les accidents domestiques. Mais il est nécessaire de savoir à qui l'on doit s'adresser. Une étude américaine a montré que les mamans primipares sont à la recherche d'informations. Notamment sur le trotteur, durant les quelques semaines à quelques mois qui suivent leur accouchement (4) et que c'est généralement durant cette période qu'elles prennent la décision d'en acheter un. Une sensibilisation pourrait raisonnablement commencer par les maternités, à la sortie desquelles leurs serait remise une plaquette faisant un point de synthèse sur les divers équipements de puériculture. Mais il est très difficile de définir une population cible, car il y a d'innombrables familles, toutes classes socio-économiques confondues qui négligent totalement la sécurité (52). Pour en atteindre le plus grand nombre il faudrait « multi médiatiser » ces campagnes (télévision, presse...) et les mener dans tous les lieux où sont reçus de très jeunes enfants (PMI, maternités, haltes garderies, etc ...). Mais diverses expériences de ce type n'ont pas eu le succès escompté (13, 65).
Vient alors à l'esprit l'interdiction de la vente de trotteur. Cette solution semble radicale, mais est-elle vraiment efficace? Elle a de nombreux partisans. Mais d'autres préfèrent le renforcement des normes de sécurité, ou bien informer les parents et les laisser prendre leur propre décision en connaissance de cause. D'autres encore préconisent de dissuader les parents d'acheter un trotteur. Au Canada, les industriels ont décidé de stopper leur production plutôt que de la réajuster à la nouvelle norme de sécurité, trop contraignante et pas rentable économiquement. Mais cela n'a pas entamé l'enthousiasme des parents pour le trotteur, lesquels se sont fournis sur le marché américain pour les limitrophes, ainsi que sur le marché de l'occasion et les prêts inter familiaux. De ce fait les accidents n'ont pas cessé (66)! Seul effet bénéfique; le pourcentage des parents persévérant à placer leur enfant dans un trotteur après que celui-ci y ait subi un accident a fortement diminué; 62% en 1986, avant l'arrêt des ventes, et 8% ensuite. La durée de vie d'un trotteur est estimée à environ 8ans, ce qui explique aussi les effets retardés d'une cessation des ventes sur l'incidence des accidents. D'où la nécessité de mener de façon concomitante une campagne de rappel massif des trotteurs. Dont on peut s'attendre, en plus, à ce qu'elle déclenche une certaine suspicion chez les parents, vis à vis du trotteur.
Jusque-là nous avons majoritairement fait référence aux pays anglo saxons. En France, il n'existe aucune donnée sur l'utilisation du trotteur. Nous avons donc décidé de réaliser une étude qui nous permetterait de comparer nos résultats avec ceux de diverses études médicales menées dans d'autres pays. Nous nous sommes ainsi adressés aux mamans habitant la ville de Lyon. Et ayant un enfant âgé de 11 à 25 mois au moment de l'enquête. L'échantillon concernant 500 mamans au total, a été défini selon la méthode des quotas avec les données statistiques de l'INSEE sur la population féminine de Lyon en 1999. Ainsi nous avons défini deux niveaux scolaires et trois tranches d'âges; inférieur ou égal au baccalauréat et supérieur au baccalauréat, pour les 20-24 ans, 25-34 ans et 35-39 ans. L'âge pris en compte étant celui de la maman à la naissance de son enfant.
En voici les résultats:
Les mamans qui ont décidé de ne pas se servir d'un trotteur pour leur enfant préfèrent avant tout le laisser se déplacer sans aide (80%), ne trouvent pas utile d'en acheter un (42%) ou bien affirment que cela ne leur est pas même venu à l'idée (21%). Le manque de place est évoqué dans 1 cas sur 5, et le coût du trotteur dans 3.3%. Si ces problèmes avaient été résolus: 27.5% des femmes qui y ont été confrontées auraient utilisé un trotteur, mais 1/3 pour les diplômées supérieur (>) au bac contre 2/3 pour celles ayant un niveau inférieur ou égal au bac. La décision des mamans de ne pas se servir d'un trotteur est avant tout un choix personnel (50%), suivi de l'influence de la famille (36%), des amis et du voisinage (22%), de la presse écrite (19%), mais aussi du pédiatre (16%), plusieurs réponses étant possibles, le total dépasse les 100%. 17% des mamans n'ont pas utilisé de trotteur parce qu'on le leur a fortement déconseillé. Notons que les mères de 20-24 ans, > bac ont été plus influencées que les autres et que 11/15 étaient primipares.
Sur les 500 enfants, 286 ont pratiqué le trotteur, soit 57%. Un quart des trotteurs a été offert, parfois à la demande des parents. Dans 30% des cas il a été prêté, et dans les 45% restants, il a été acheté, neuf ou d'occasion. Le parc des trotteurs d'occasion représente 47% de la totalité.
Dans les familles utilisant un trotteur, les risques liés à son usage sont connus, au moins partiellement, par 48% des mamans. La famille, la presse écrite, les amis et l'entourage ont été les principales sources d'informations. Les professions de santé sont très peu sollicitées. La notion de liberté qu'il procure à l'enfant arrive en première place des motivations des mamans avec 72% des réponses. Elles pensent aussi que leur enfant aime s'y amuser (56%) et que cela les occupe (41. %). Néanmoins. Un peu plus de la moitié des enfants cessent l'emploi du trotteur; un tiers refuse d'y rester et 18% s'y ennuient. Le côté pratique représente 31% des réponses, et 6% trouvent le trotteur commode pour se décharger du poids de leur enfant, devenu trop lourd. Le fait que le trotteur leur ait été offert a motivé en moyenne 13% (7 à 21 %) de la totalité des mamans, sans aucune distinction. Les mamans trouvent le trotteur sécurisant (16%), et 35% pensent qu'il facilite l'apprentissage de la marche.
Le début de sa pratique se fait vers l'âge de 8 mois. L'acquisition de la marche (chez 41 à 68% des enfants) est la principale cause de l'arrêt de son usage, à l'âge moyen de 11 mois et 3 semaines, sans différence notable entre les six groupes, et sans différence significative entre les non utilisateurs et ceux qui ont fait usage du trotteur intensivement ou non.
87 enfants, soit 30.4%, ont subi 103 accidents déclarés, bénins dans plus de 80% des cas, alors qu'ils siégeaient dans leur trotteur. 15 enfants ont été conduits à une consultation médicale dont 3 ont nécessité une hospitalisation; une pour surveillance après traumatisme crânien et deux pour brûlure. Dans 16% des cas, l'enfant se trouvait seul lors de l'accident. Les filles ont été plus souvent accidentées que les garçons (34 contre 28%) et les ainé(e)s subissent moins d'accidents que les cadet(te)s; ratio 4/6.
Le traumatisme crânien représente la lésion la plus fréquente avec 69% des accidents, dont 11% ont conduit à une consultation médicale. Ce chiffre est minoré par le fait que cette lésion n'est comptée qu'une seule fois, même si cela s'est reproduit une fois ou plus. Le choc à la tête a pour mécanisme principal (25%) le passage sous une table (cause la plus fréquente à Lyon), suivie par la bascule du trotteur, la chute d'objet, puis la chute dans les escaliers. (Ces derniers mécanismes étant parfois combinés, il est impossible de donner un pourcentage exact pour chacun d'entre eux.) Il y a eu 15 chutes dans des escaliers. Dans 1/3 des cas il existait une barrière de sécurité, ouverte à chaque fois. Dans les deux autres tiers, cette sécurité n'existait pas et n'a été installée par la suite qu'une fois seulement. Il n'y a pas de rapport entre le nombre d'accidents graves ou ayant nécessité une consultation médicale et le nombre des enfants ayant cessé l'usage du trotteur suite à un accident. 72.4% des enfants ont continué à se servir du même trotteur. 8% des trotteurs ont été jetés, 12.6% rangés au placard et 7% ont été donnés, ou redonnés lorsqu'il s'agissait d'un prêt.
Certains résultats de notre étude donnent lieu à réflexion:
L'âge des mamans à la naissance de l'enfant et leur niveau scolaire n'ont aucun caractère discriminatoire quant à l'utilisation ou non d'un trotteur. Par contre c'est parmi les mamans ayant un niveau scolaire inférieur ou égal au baccalauréat que le taux d'utilisation intensive du trotteur (> 2h/jour), est le plus élevé (20% bac), rejoignant les constatations du Dr Trinkoff en 1993 aux USA (93).
Le taux d'utilisation du trotteur à Lyon, soit 57%, reste dans la fourchette de ceux observés dans les pays anglo-saxons. Une différence notable est que nos petits lyonnais débutent la pratique du trotteur à 8 mois (en moy.), donc plus tardivement que les petits américains (4 mois) et y passent moins de temps quotidiennement. La sécurité est un aspect peut évoquer par les mamans. Mais l'association "trotteur et marche" mobilisent 80% des mamans qui sont contre le trotteur. Et près de 35% des mamans qui lui sont favorables pensent qu'il va accélérer l'acquisition de la marche de leur enfant. Outre le fait que c'est inexact, reste à savoir pourquoi ce besoin parait si impérieux à tant de parents.
Après comparaison de diverses études disponibles, nous pouvons dire qu'à Lyon, le trotteur est perçu différemment par rapport à Dublin, aux USA ou en Espagne en ce qui concerne la sécurité (peu importante), la marche (très importante) et son aspect pratique, par exemple, semblable à l'Espagne, mais 3 fois plus important qu'à Dublin (Sa 79). Dans notre enquête, 30.4% des enfants ont subi un accident en trotteur; même taux que dans une étude américaine (SI). Il apparait que les aîné(e)s sont plus épargnés que leurs cadet(te)s. Cela peut s'expliquer en partie par le fait qu'il est d'autant plus difficile de porter la même attention à tous ses enfants, que ceux-ci sont nombreux, d'âges différents et ont donc des besoins différents. L'aspect sécurisant du trotteur tient aussi une place importante dans la baisse de la vigilance (9), d'autant plus qu'il est généreusement vanté par les vendeurs. De plus la complicité des aînés dans les accidents de leur frère ou sœur est une autre possibilité à envisager. Nous remarquons aussi que les enfants sont rarement seuls lors des accidents et que dans 84% des cas un adulte était présent, ce qui n'a pas permis d'éviter l'accident. Une présence seule ne suffit pas, c'est la vigilance qui prime. Le trotteur ne peut en aucun cas servir de"substitut parental", même pour 5 minutes. Les risques liés à l'usage du trotteur étaient connus de 46% des mamans dont les enfants ont été victimes d'accidents, qu'elle que soit leur gravité, contre 48°/a pour l'ensemble des mamans utilisatrices. Et 72.4°/o des mamans continuent à placer leurs enfants dans le même trotteur après un accident. Ainsi, malgré tous les inconvénients du trotteur, beaucoup de familles ne sont pas prêtent à en abandonner la pratique du fait des bénéfices secondaires qu'elles en recueillent (93). Le trotteur joue un rôle pacificateur à la maison. Un enfant qui pleure souvent dans la journée, ou demande constamment à être porté peut rendre l'atmosphère du domicile difficilement supportable. Par contre s'il est heureux, il va plutôt égayer le foyer. Nous avons noté que le corps médical était peu sollicité à Lyon, contrairement aux U. S. A (4), mais nous ne savons pas qu'elle est sa position par rapport au trotteur. Une harmonisation du discours des uns et des autres serait la bienvenue. Les faits prouvent que le trotteur est potentiellement dangereux, aussi, tout en respectant les opinions de chacun, de sages conseils sur la sécurité ou bien un discours dissuasif pourront avoir un impact positif sur une campagne de prévention médiatique. En effet, comme 52% des mamans emploient un trotteur pour leurs enfants sans en connaître le moindre risque et pire encore les 48% restant connaissent, au moins partiellement, les risques qu'encourent leurs enfants, nous sommes donc désormais fermement convaincus qu'une campagne d'information et de prévention est indispensable. Une enquête nationale permettrait de connaître plus précisément l'ampleur de l'usage du trotteur, notamment dans les milieux semi-ruraux et ruraux où se trouvent plus d'escaliers accessibles aux jeunes enfants dans les maisons, que dans les appartements Lyonnais. Cette enquête pourrait d'ailleurs réaliser une première approche de la population et l'interpeler sur le sujet de la prévention des accidents en général et du trotteur en particulier.
Tenter de démystifier le trotteur reste une gageure, mais il faudra relever le défi avant que la situation ne vienne calquer le modèle américain. Nous avons déjà, à Lyon, un taux d'accidents semblable!
La Commission européenne connaît parfaitement le problème. Elle a soutenu financièrement une grande étude qui a démontré une fois de plus la dangerosité du trotteur, et elle soutient l'élaboration d'une nouvelle norme de sécurité européenne (10, 11). Mais malgré toutes les nouvelles normes, les taux d'accidents sont toujours anormalement élevés pour un objet destiné à l'usage de très jeunes enfants. Les progrès techniques ont très largement contribué à la sécurité en général, mais pas dans ce cas précis. Et on a faussement rassuré les parents, tout en mettant sur le marché des trotteurs à peine moins dangereux que les précédents. Ils sont déjà co-responsables de 34 décès depuis 1973 aux USA (87). En rendant les critères de sécurité plus draconiens encore, il faudra aussi pouvoir s'assurer qu’ils seront respectés, alors même que la conformité aux normes actuelles est loin de l'être scrupuleusement (19). Cette voie semble donc être une impasse. La seule solution valable à long terme est l'interdiction de la fabrication et de la vente du trotteur, et nous devrions profiter de l'expérience des canadiens en ce sens. Il faudra prendre en compte les réticences de la population et des fabricants ainsi que du parc des trotteurs de seconde main qui, à Lyon, représente près de la moitié (47%) des trotteurs.
Pour conclure, nous rappelons que l'accident est le principal danger encouru à son domicile par le jeune enfant de moins de 2 ans, d'autant plus qu'il est particulièrement curieux et que son développement psychomoteur ne lui permet pas de faire face à toutes les situations dans lesquelles il se place.
Le trotteur est pourvoyeur d'un grand nombre d'accidents dont il augmente considérablement la fréquence chez les enfants de la même tranche d'âge, car il leur procure des capacités qu'ils sont incapables de maîtriser. II est décrié depuis plus de trente ans par les milieux pédiatriques et les puissantes organisations de défense du consommateur, américains et canadiens. Aucune norme de sécurité concernant le trotteur n'a diminué significativement le nombre d'accidents, et plus particulièrement les brûlures. Il est néfaste au développement locomoteur, surtout s'il est utilisé tôt ou de façon intensive et contrairement à une idée très répandue il n'apporte aucun bénéfice à l'apprentissage de la marche. C'est un article dit de puériculture, mal nommé, qui a néanmoins une excellente image de marque, difficile à briser, auprès des parents. La durée de vie d'un trotteur est longue et il faut raisonnablement penser qu'une interdiction de la vente, assortie d'une interdiction d'importation de trotteurs et appuyée par une campagne de rappel de tous les trotteurs en circulation n'aura d'effet spectaculaire sur le taux d'accidents dus au trotteur qu'une dizaine d'années après. Il ne faudrait donc pas tarder!
Malheureusement ce n'est pas une priorité; les accidents de véhicules motorisés, par exemple, sont encore plus nombreux et meurtriers. Et en attendant que cette mesure soit prise par les autorités compétentes, il faut donc responsabiliser les parents et multiplier les actes de prévention par des conseils avisés du corps médical et des campagnes médiatiques.
Résumé de thèse présenté par Jacques Langue.
Docteur Christophe Jarny
2, quai Joseph Gillet 69004 Lyon
Les trotteurs, que les Canadiens appellent joliment « marchettes à roulettes », sont ces systèmes qui permettent aux enfants de déambuler avant de savoir marcher et, accessoirement, de foncer contre les murs et de se jeter du haut des escaliers.
Dans certains pays, les parents raffolent des trotteurs. Au début des années 2000, 3 millions d’unités étaient vendus chaque année aux Etats Unis. En Grande Bretagne, des études estiment que 50% des enfants les utilisent. En France, il n’y a pas de véritables statistiques fiables concernant leur usage.
Toutefois nous pouvons voir que les premières utilisations des trotteurs se font généralement vers les huit mois de l’enfant et que plusieurs motivations sont à l’origine de leur utilisation.
La première motivation des mères qui achètent ou empruntent un trotteur est la liberté que cela procure à l’enfant (72 %). Le trotteur est également un moyen d’amuser l’enfant (56 %), de l’occuper (41 %) ; les mères apprécient par ailleurs son côté « pratique » (31 %). 16 % d’entre elles jugent le trotteur sécurisant et 35 % pensent qu’il facilite l’apprentissage de la marche.
Une étude française, hospitalière, portant sur 100 cas de traumatismes crâniens survenus chez des enfants de moins de deux ans hospitalisés dans un service de pédiatrie générale entre 1997 et 1999 retrouves une implication du trotteur exclusivement chez les enfants de moins de un an. Dans cette tranche d’âge, 40,9 % des accidents étaient liés au trotteur. Dans 92% des cas il s’agissait d’une chute dans les escaliers.
Cela fait donc un certain temps que le trotteur est critiqué dans de nombreux pays et certains à l’image du Canada ont décidé d’en interdire la vente et l’usage.
Le Canada était aussi un des précurseurs dans l‘interdiction du Bisphénol A.
L’Association européenne pour la sécurité des enfants et l’Anec, porte-parole des consommateurs européens en matière de normalisation, ont récemment publié une déclaration commune demandant à l’Union européenne d’interdire la commercialisation des trotteurs pour bébé en Europe.
Ce document met en avant les risques de blessures graves causées par l’utilisation de ce type de matériel (voir plus haut).
Aux Etats-Unis les trotteurs seraient également responsables de 4.000 à 5.000 accidents chaque année. À l’échelle européenne, les données montrent que 90% des blessures associées aux trotteurs se situent à la tête et 5% causent des brûlures, le trotteur permettant à l’enfant d’atteindre des objets dangereux auparavant hors de sa portée (bouilloires, portes de four…).
Par ailleurs, les auteurs précisent qu’un bébé dans un trotteur peut atteindre une vitesse de plus de 3 km/h et considèrent que ce matériel de puériculture est inutile et ne constitue pas une aide à la marche.
En attendant la décision de l’Union Européenne, les auteurs proposent aux parents utilisant un trotteur d’installer des barrières de sécurité pour prévenir les chutes dans les escaliers et d’en interdire l’accès aux endroits dangereux comme la cuisine. Ils demandent aux autorités de mettre en place des campagnes de sensibilisation et de s’assurer que les trotteurs disponibles sur le marché européen sont conformes aux normes en vigueur (EN 1273 – août 2005).
Affaire à suivre